3. La Transylvanie dans la ligue anti-Habsbourg


Table des matières

La Hongrie et la guerre de Trente ans

En optant pour la guerre contre les Habsbourg, le Prince dut faire un choix car, alors même que toute l’Europe occidentale s’y préparait, l’ennemi oriental commençait, lui aussi, à se faire menaçant. Osman II, le jeune et ambitieux Sultan, commença en 1619 une campagne contre la Pologne qui se termina pratiquement par la défaite des deux parties. Il apparut que les rapports de forces entre la Pologne et la Porte étaient les mêmes que ceux qui caractérisaient, depuis le début du siècle, la Porte et les Habsbourg: aucune des deux parties ne parvenait à prendre un avantage sur l’autre.

De nombreux facteurs poussaient Bethlen à entrer dans ce conflit de l’Est. L’intervention aux côtés des Turcs aurait paru tout à fait logique, même pour des raisons personnelles, car l’ancienne bonne relation de Bethlen, Skander, jouait un rôle de premier plan dans l’affaire de la Pologne. Celui-ci ne cessa de lui ordonner de se rallier. Puis ce fut le tour de ses diplomates de le conjurer d’entreprendre quelque chose. Entre-temps, et suite au désordre, une crise intérieure éclata à la Porte, et on laissa apparaître beaucoup de ressentiment contenu à l’égard de Bethlen. Des idées les plus diverses naissaient alors sur le sort de la Transylvanie, mais aucune n’était avantageuse pour elle. Logiquement, il semblait donc nécessaire aux ambassadeurs de Transylvanie que Bethlen rétablisse sa position à Constantinople.

Le Prince se tenait cependant sciemment éloigné du conflit oriental. Au terme de nombreuses tractations diplomatiques, il manqua – à dessein – la guerre de Pologne. En fait, la crise de la Porte ne le laissait pas seulement de marbre, mais il en conclut à la faiblesse du gouvernement turc. Il ne céda pas aux pressions; il ne tenta pas de concilier ses ennemis à la Porte. Voire même, profitant de la bonne volonté de certains, il soumit à Constantinople l’idée d’une attaque à lancer contre Ferdinand 11, le nouveau roi de Hongrie, monté sur le trône le 20 mars 1619.

Bethlen se décida donc pour l’intervention à l’ouest. En fait, une entreprise à l’est aurait peut-être été spectaculaire mais inutile. Le désordre causé par la guerre laissait transparaître l’affaiblissement du pouvoir turc mais même le plus téméraire des rêveurs n’osait pas encore songer à la liquidation du pouvoir ottoman. Par contre, la plupart des contemporains de Bethlen considéraient que le conflit occidental mènerait à la perte des Habsbourg d’Autriche.

De ce côté-ci, les événements débutèrent le 23 mai 1618, à Prague, par {f-310.} l’insurrection contre les Habsbourg dont Gabriel Bethlen reconnut immédiatement l’importance. Il réalisa vite que les Tchèques ne se seraient jamais décidés à franchir ce pas sans l’espoir d’une aide extérieure. Toute la question était bien là. En effet, les insurgés cherchèrent tout d’abord de l’aide auprès de l’Angleterre, mais ne parvinrent pas à l’obtenir. Ils s’assurèrent, par contre, l’aide des Pays-Bas car ceux-ci étaient intéressés à tenir loin d’eux les forces des Habsbourg qui représentaient un danger permanent aussi pour eux. Aux Pays-Bas, s’organisa l’aide financière à Frédéric, prince palatin, élu roi au cours du soulèvement de Bohême. Il s’y réfugia d’ailleurs lorsque, après la victorie des forces impériales, le 8 novembre 1620, il dut prendre la fuite.

L’armée de Ferdinand II ne le poursuivit pas jusque-là, mais les mercenaires envahirent sa belle principauté au bord du Neckar. La guerre gagna ainsi l’Empire germanique. Petit à petit, toute l’Europe y prit part et elle devait durer jusqu’en 1648, année où fut signée la paix de Westphalie, entre l’Empereur Habsbourg, Ferdinand III d’une part, et Louis XIV, roi de France et la reine Christine de Suède de l’autre. Cette longue guerre était déjà appelée par les contemporains la «guerre de Trente ans». Contre toute attente, l’Empire ne fut pas supprimé, il devint seulement une puissance nominale. La complexité de cette guerre peut être jugée par le fait que malgré son début modeste dans le soulèvement de Bohême, ce furent finalement les grandes puissances lointaines qui contraignirent l’Empereur à signer la paix.

Gabriel Bethlen, Prince de Hongrie

Gabriel Bethlen, après avoir négocié avec les insurgés, entra en guerre, en août 1619, en tant que membre d’un système d’alliances autour de la Bohême.

Le lieu de son intervention était naturellement donné: l’ennemi commun de la moitié de l’Europe se trouvait à portée de sa main: la Maison des Habsbourg s’étant installée en Hongrie. Son intervention y était donc attendue indépendamment des développements de la politique internationale.

György (Georges) Rákóczi, le chef de l’opposition protestante en Hongrie royale, fils du Prince Sigismond, lui fit personnellement appel, et la grande majorité des seigneurs du pays étaient également favorables à l’idée de lutter aux côtés de Bethlen; les plus grands aristocrates le soutenaient car ils espéraient de lui le renforcement de leur propre pouvoir. Ils avaient, jusque-là, déjà bénéficié d’une situation favorable: ils avaient réussi à obtenir de Mathias II élu roi après la guerre de Quinze ans, la complète reconnaissance de leurs droits. Ils avaient également réussi à se réserver la direction des affaires intérieures et à exclure l’intervention du souverain dans toutes les questions concernant les rapports seigneur-serf. La seule chose qu’ils pouvaient encore souhaiter était d’avoir un roi national qui les protégerait de toute intervention étrangère. Les événements des dernières années les faisaient pencher vers cette solution. L’archiduc Ferdinand, qui remplaçait Mathias II tombé malade, gouvernait la Hongrie sans palatin depuis la fin de 1616, l’année de la mort de György Thurzó. Deux ans plus tard (Mathias vivait encore), il fut élu roi, mais trouva en face de lui une forte opposition car tous savaient que, dans les pays héréditaires où il régnait en tant qu’archiduc, il avait créé l’Etat modèle de la monarchie absolue en s’appuyant sur l’Eglise catholique. A l’horizon se dessinait donc, pour la noblesse de Hongrie, la sombre menace d’un pouvoir central renforcé.

Pour toutes ces raisons, Gabriel Bethlen devint pour eux un candidat à la {f-311.} royauté tout indiqué. Ils pouvaient espérer faire de lui le roi de la nation sans pour autant lui assurer une domination complète sur le pays.

Avec l’appui des aristocrates qui s’étaient mis de son côté, Gabriel Bethlen avançait très vite. Il était parti le 27 août 1619 de Gyulafehérvár et, le 21 septembre, il a déjà convoqué la première assemblée de ses fidèles sur le territoire du Royaume de Hongrie. Ils se réunirent à Kassa pour discuter des rapports futurs. Gabriel Bethlen arriva à la tête de son armée et des fidèles qui venaient de se ranger à ses côtés. L’assemblée définit ainsi son action: il n’était pas venu en ennemi mais pour porter secours, comme Jephté, dans la Bible, alla aider les fils d’Israel. Bref, il fut proclamé, face au roi, le représentant officiel de leur volonté.

Le mouvement de Bethlen continua à progresser. Lui-même participa, le 14 octobre, à la prise de Pozsony. Pendant ce temps-là, un de ses jeunes partisans, György Széchy, soumit les villes minières du Nord. Ainsi, une grande partie du Royaume de Hongrie se trouvait sous le contrôle de Bethlen quand, le 11 novembre, le palatin Zsigmond Forgách, sur sa demande, réunit la Diète. Au moment même où les débats commencèrent, les troupes de Bethlen s’unirent aux troupes de l’alliance tchèque-morave et arrivèrent sous les murs de Vienne.

Le siège de la capitale de l’Empire n’eut cependant pas lieu: le 29 novembre 1619, Bethlen se retira. L’action spectaculaire du Prince suscita des orages dans l’opinion publique aussi bien en Hongrie qu’à l’étranger. Non seulement il coupait court à une entreprise qui commençait bien, mais il abandonnait également ses alliés de Bohême. Lui-même en fournit une explication en invoquant le cours pris par les événements de son pays. En vérité, il s’était probablement rendu compte de l’impossibilité de prendre Vienne et il préférait subir une défaite morale que militaire. Il donna l’apparence d’avoir agi par décision souveraine et sa retraite ne provoqua finalement aucune altération de sa popularité dans le pays.

A la fin de 1619 ou au début de 1620, Bethlen arrivait au sommet de ses succès politiques au moment où les Ordres réunis en Diète lui proposèrent de devenir roi. Il ne l’accepta cependant pas. L’explication en était simple: les seigneurs avaient rédigé une charte précisant leurs conditions. Ils avaient donc élaboré le Code d’une République Nobiliaire idéale. Ils ne voulaient assurer aucun droit au roi en dehors de celui de convoquer la Diète et de ratifier les lois. En refusant la royauté, Bethlen refusa aussi ces conditions. Il fut cependant inclu dans les lois de la Diète un texte qui précisa que, conformément à la volonté unanime des Ordres du Royaume, le gouvernement et la direction du pays étaient remis sans conditions entre les mains de Gabriel Bethlen.

Election royale sans couronnement

La destitution de la maison des Habsbourg et l’élection libre du roi eurent lieu plus tard, le 25 août 1620, à la Diète de Besztercebánya. Bethlen signa alors le «Diplôme royal» (Diploma regis). De longues négociations avaient précédé l’avènement. Ce fut au cours de celles-ci que les délégués de la Diète apprirent, du moins officiellement, que le règne de Bethlen signifierait aussi le protectorat turc. Un envoyé de la Porte lut la lettre d’Osman II dans laquelle il promettait de défendre la Hongrie, tandis que le chancelier de Transylvanie, Simon Péchi, tint un grand discours sur les avantages de cette nouvelle {f-312.} situation. Il demanda à la Diète, puisque le Royaume de Hongrie et la Transylvanie ne faisaient qu’un, de régler le sort du Royaume selon l’exemple transylvain. Il n’y eut cependant pas de véritables alternatives et les nobles de Hongrie devaient simplement accepter le fait qu’en se détournant du roi Habsbourg, ils perdaient tout espoir de chasser les Turcs.

En signant le Diplôme et en acceptant de devenir roi par élection, Bethlen voulut faire un geste compensatoire. Par la restriction de son pouvoir, il paya en quelque sorte pour l’instauration du protectorat turc.

Néanmoins, il refusa de se faire couronner. Par cette attitude, il stupéfia nombre de ses contemporains et donna du fil à retordre à beaucoup d’historiens. Il semble cependant que le geste de refuser la couronne se ramène à une explication toute simple: en 1620, à Besztercebánya, il aurait été possible d’organiser seulement une cérémonie hâtive. Or, Bethlen projetait vraisemblablement de ceindre la Sainte Couronne – après le triomphe de sa campagne – dans des formes traditionnelles. Au moment de son élection comme roi, il devait être tout à fait sûr de la victoire finale.

Cependant, à partir de novembre 1620, les événements se retournèrent peu à peu contre lui. Le 4 novembre, le pacha de Buda Mehmet Karakach occupa Vác. Puis, peu après, la nouvelle parvint que l’armée de Ferdinand II avait anéanti l’armée tchèque à la Montagne Blanche, près de Prague, et qu’une terrible répression avait suivi. Ces événements soulevèrent des doutes sur le caractère définitif de la victoire de Bethlen et laissèrent en même temps prévoir les éventuelles conséquences d’une défaite.

Gabriel Bethlen poursuivit son activité comme si de rien n’était. Il commença à s’organiser sans tenir compte du Diplôme et des lois. En effet, les barrières élevées par les Ordres non seulement limitaient son pouvoir personnel mais, de surcroît, mettaient en cause l’efficacité de son gouvernement. Ainsi, les hommes politiques de Hongrie s’étaient bien trompés lorsqu’ils avaient cru trouver, en la personne de Bethlen, un souverain docile, prêt à les écouter. Pour les Ordres, l’Etat du nouveau roi aurait convenu seulement comme un cadre permettant la jouissance illimitée de leurs droits mais, en fait, tout dépendait de la réussite d’une campagne militaire. Et cette victoire ne pouvait être obtenue si les Ordres jouissaient d’une liberté entière.

Bethlen perd le Royaume de Hongrie

La Hongrie se trouva dans une situation ambiguë, et insoluble: la victoire finale de Gabriel Bethlen semblait de moins en moins souhaitable, tandis que la défaite – comme l’exemple des Tchèques venait de le montrer – pouvait entraîner de terribles représailles. Les hommes politiques hongrois trouvèrent tout de même une solution. Ils prirent l’initiative et, pour éviter aussi bien la victoire que la défaite, commencèrent à négocier avec les hommes de Ferdinand II les conditions d’une reddition volontaire.

Si, en automne 1619, ils avaient encore refusé la proposition de Vienne en vue d’un arrangement pacifique, en décembre 1620, ils contraignirent Bethlen à engager des pourparlers. Les négociations de paix commencèrent donc le 25 janvier 1621 à Hainbourg, et se poursuivirent avec plusieurs interruptions. Ce furent toujours les partisans de Bethlen qui les remirent en route, et le nombre des partisans de la paix ne cessait d’augmenter. Même le jeune Imre Thurzó les rallia, un des hommes politiques les plus brillants du pays, particulièrement {f-313.} apprécié de Bethlen; il succomba de la petite vérole, au cours des négociations, elles n’en furent pas pour autant suspendues.

Les pourparlers reprirent à Nikolsbourg et aboutirent le dernier jour de 1621. Selon l’accord signé, Gabriel Bethlen renonçait au titre de roi et dorénavant ne devait plus s’ingérer dans les affaires du Royaume. En contrepartie, il pouvait garder, avec certaines restrictions, la haute main sur sept comitats de la Haute-Hongrie, durant sa vie, et obtint plusieurs grands domaines. Les seigneurs, à leur tour, s’assurèrent, de la part de Ferdinand II, une amnistie totale.

Ce furent les fondateurs même de l’Etat de Bethlen qui finirent par l’abolir. Ils avaient fait une tentative en vue de créer un royaume national mais, du moment que ces desseins ne pouvaient pas se réaliser sous la forme d’une république des Ordres, le projet fut abandonné par eux.

Du moins évitèrent-ils ainsi le sort de la Bohême. Et alors même que l’Europe était envahie de réfugiés protestants fuyant ce pays, on élut, en Hongrie, un palatin luthérien en la personne de Szaniszló Thurzó, un des premiers fidèles de Bethlen. Quand l’impôt fut voté à la Diète de 1622, il apparut que, du point de vue économique également, la noblesse avait tiré la meilleure partie. L’unité fiscale établie à 28 florins par Bethlen fut réduite à 3 florins. De plus, les seigneurs, auparavant, en payaient la plus grande partie de leur propre poche, tandis que ces 3 florins étaient payés par les serfs. Pour la première fois depuis l’avènement des Habsbourg, la Diète de 1622 incorpora même dans le code des lois le «Diplôme royal». Il n’y eut donc pas de conséquences négatives pour la noblesse du fait d’être passée, pour une courte période, aux côtés de Gabriel Bethlen. Aussi, les puissants seigneurs qui dirigeaient la politique du pays ne voulurent plus prendre aucun risque supplémentaire. Gabriel Bethlen eut beau tenter, par deux fois encore, de récupérer le Royaume, les seigneurs hongrois ne se rangèrent pas de son côté.

Luttes pour la Hongrie et les derniers projets

Le Prince de Transylvanie revint en Hongrie une nouvelle fois en août 1623 pourtant, aussi bien les seigneurs de la Haute-Hongrie que ses autres fidèles lui avaient déconseillé de se lancer dans cette entreprise. Même György Rákóczi n’apparut dans son camp qu’une fois terminées les vendanges. Bethlen réunit la Diète le 19 novembre, les délégués votèrent pour le rétablissement de la paix. Le Prince signa le traité de paix le 2 avril 1624. Le contenu en était plus ou moins identique à celui du traité de Nikolsbourg. Depuis celui-ci, en effet, la situation intérieure n’avait pas changé en Hongrie et Gabriel Bethlen avait tort de recommencer sa campagne en un si bref délai.

En août 1626, par contre, plusieurs facteurs étaient réunis pour réussir une campagne, dans le Royaume. Entre-temps, Bethlen était devenu membre d’une importante alliance internationale. Il avait entamé des négociations à cette fin en 1625. Les ambassadeurs à Constantinople d’Angleterre, de France, de Hollande et de Venise prirent contact avec lui par l’intermédiaire de son chargé d’affaires. Puis les mêmes puissances vinrent s’informer directement chez lui sur la possibilité d’une alliance anti-Habsbourg. Quant à Bethlen, il chercha des contacts dans l’Empire germanique; au printemps 1625, peu de temps après la mort de son épouse, il demanda en mariage la fille de l’Electeur de Brandebourg. Le mariage, par lequel il devint beau-frère de Gustave {f-314.} Adolphe, roi de Suède, eut lieu un an plus tard. Le Prince entra dans l’alliance qui s’était formée autour du souverain suédois.

Ainsi, Bethlen entreprit sa campagne en été 1626 avec l’espoir d’obtenir l’aide occidentale. Mais la situation tourna de telle façon que c’était lui qui devait à plusieurs reprises aider ses partenaires occidentaux. Pendant quelques mois, son territoire devint même théâtre d’opérations: Mansfeld, le chef de l’armée protestante, se réfugia en Hongrie, poursuivi par Wallenstein, le plus talentueux chef militaire de l’Empire. Mais les affaires hongroises ne purent nullement influencer ces événements militaires. La paix conclue en décembre 1626 n’apporta pas de changements par rapport à celle de Nikolsbourg. Néanmoins, elle permit à la Hongrie de sortir, pour une courte période, de la meurtrière guerre de Trente ans.

Ce fut entre les deux dernières campagnes militaires et avant son mariage avec Catherine de Brandebourg que Bethlen tenta encore de réaliser une idée saugrenue. Il demanda la main d’une des filles de Ferdinand II. A la demande en mariage il ajouta une proposition politique. Une fois le mariage conclu, il deviendrait gouverneur de la Hongrie, puis avec l’aide de l’Empereur et de ses alliés il irait contre les Turcs. Si l’on suivait ses conseils – fit-il savoir à Vienne – il serait possible de chasser en quatre ou cinq ans les Turcs de la Hongrie.

La proposition inattendue de Bethlen avait tout d’abord causé une grande confusion diplomatique, puis à plusieurs reprises elle fut refusée poliment. Seuls quelques magnats hongrois sympathisaient avec l’idée d’une guerre contre les Turcs à partir de la Transylvanie: l’archevêque Pázmány et le nouveau palatin Miklós Esterházy entamèrent des négociations indirectes en 1627, puis en 1628, sur ce projet. Naturellement, il n’était plus question de mariage avec la princesse Habsbourg, seulement d’une guerre contre la Porte à partir de la Transylvanie. Mais finalement rien ne put se réaliser. Les conceptions anti-turques des Hongrois supposaient que la grande guerre dans l’Empire prendrait bientôt fin et que l’Empereur pourrait se tourner contre l’ennemi de l’Est. Mais le moment de signer la paix n’était pas encore venu. Après sa troisième campagne, Bethlen renonça définitivement à ses visées relatives à la Hongrie.

A partir de 1627, le Prince commença à se concentrer sur son nouveau projet, celui d’accaparer la couronne de Pologne. Il essaya de resserrer à cette fin ses relations avec Gustave Adolphe, son beau-frère. Le roi de Suède, homme énergique et de grand talent, jouait à cette époque un rôle décisif dans la guerre. Cependant Bethlen, à part quelques négociations, ne pouvait plus s’engager véritablement dans ces lointains projets. C’est que la maladie l’obligea à y renoncer, quoiqu’il fit de gros efforts pour lutter contre elle. En octobre 1629, il ne pouvait plus guère manger, mais il fit tout de même le voyage de Várad pour s’entretenir avec György Rákóczi des tâches à réaliser après sa mort. Le voyage de retour le mina profondément. Le lendemain de son arrivée à Gyulafehérvár, le jeudi 25 novembre 1629, il mourut à 11 heures du matin.

Bien qu’en rehaussant la Transylvanie au niveau d’un facteur politique européen, comme elle l’avait été du temps d’Etienne Báthori, Bethlen eut réalisé un exploit qui forçait l’admiration de ses ennemis, ses sujets transylvains n’étaient guère concernés ni par ses entreprises diplomatiques ni par ses campagnes pour conquérir le Royaume de Hongrie.

Sa lutte pour la couronne de Hongrie ne suscita guère l’approbation des Transylvains. Les Ordres, n’y voyant qu’une ambition personnelle, ne reconnurent {f-315.} probablement pas les véritables perspectives des entreprises de Gabriel Bethlen. Le but premier de la guerre de Trente ans, qui consistait, par le biais d’une alliance internationale, à anéantir la maison des Habsbourg, ne les intéressait pas.

Bethlen, qui avait une claire appréciation de la situation, n’avait d’ailleurs jamais tenté de mobiliser les Transylvains pour ce but. Dans le déroulement des guerres, il n’y eut en réalité aucun événement qui touchât directement la Principauté. Les deux Diètes qu’il convoqua dans le Royaume de Hongrie ne traitèrent pas des affaires de Transylvanie. Et quand la paix de Nikolsbourg fit passer aux mains du Prince sept comitats de Haute-Hongrie, ni les Ordres qui s’y trouvaient, ni Bethlen n’envisageaient l’union administrative de ces comitats avec la Transylvanie. Il est vrai que la Diète de Transylvanie fit une timide tentative pour placer les impôts collectés dans les sept comitats sous son autorité, mais le Prince s’y opposa catégoriquement.

Ses sujets pouvaient apprécier de manière directe le relèvement de la Principauté à travers le faste de la cour du Prince. Gabriel Bethlen s’entourait d’une pompe qui exprimait en quelque sorte son pouvoir absolu de souverain. Selon les normes de l’époque, il était de ses devoirs d’en faire ainsi. Néanmoins, il n’eut apparamment aucune peine à s’y conformer. Rares furent ceux qui accomplirent leur tâche d’aussi bon cśur que Bethlen. Il aimait recevoir des diplomates; il entretenait une riche correspondance; il aimait aussi faire la guerre. Mais ce fut peut-être la mise sur pied d’une cour princière fastueuse qui lui donna le plus de plaisir, car il affectionnait le luxe. Il aimait s’habiller de vêtements aux couleurs vives; même son linge de nuit était de couleur, il s’acheta des joyaux valant une fortune. Il faisait venir des poissons de mer, des huîtres, des fruits exotiques, des confiseries. Nous ne savons pas s’il aimait danser mais, au cours de ses achats à l’étranger, on incluait toujours des masques sur la liste. Il faisait venir des musiciens: des Allemands et des Italiens; des chanteurs et des acteurs se chargeaient de le distraire.

Bethlen dépensait de plus en plus d’argent aux fins de ces fastes. Avant sa première campagne militaire, ses dépenses étaient celles d’un grand seigneur du Royaume; après 1624, le niveau de ses dépenses fut celui d’un souverain. Cependant, ses rentrées d’argent augmentaient elles aussi et, en proportion de l’ensemble de son revenu, il consommait en produits de luxe autant que les princes occidentaux contemporains. Il voulait étonner ses ennemis par son faste et manifester par là le rang international de la Transylvanie.