4. Sous la contrainte des circonstances


Table des matières

La crise du pouvoir et la victoire de Georges Ier Rákóczi

Bethlen décédait sans descendant direct, mais non sans avoir désigné son successeur. Il avait fait élire Catherine de Brandebourg, sa seconde épouse, dès juin 1626. Ainsi, en Europe, Catherine était l’unique souveraine à avoir été élue. Nous ne savons pas si c’était elle qui aspirait à ce rang ou non. Ce qui est certain, par contre, c’est qu’elle n’aimait pas gouverner. D’ailleurs, elle le faisait si mal qu’on est en droit de penser que c’était là une manière de narguer ses vassaux. Elle ne tint aucun compte de la volonté de feu son mari. Elle pria {f-316.} tout bonnement Ferdinand II, le jour même de la mort de Bethlen, de reprendre les sept comitats que le Prince, lui, souhaitait conserver.

La restitution des comitats fut l’unique affaire dans laquelle Catherine et la majorité des Ordres agirent de concert. Ni les Transylvains ni la HauteHongrie ne souhaitaient prolonger cette situation instable des comitats, qui relevaient à moitié de la Principauté, à moitié du Royaume. La rupture ne survint qu’au moment où il devint notoire que Catherine, par l’intermédiaire d’István Csáky, son amant, voulait faire passer la Transylvanie sous le sceptre de Ferdinand IL

Les nouvelles sur György Rákóczi approfondirent encore davantage la crise. Celui-ci avait été alerté par les chefs du mouvement d’opposition créé à propos de l’affaire des sept comitats. Ce furent István Bethlen jeune et le jeune Dávid Zólyomi, tous deux élevés par Bethlen, qui proposèrent à Rákóczi d’occuper le trône de Transylvanie. Ils lui offraient l’aide des haïdouks car, après la mort de Bethlen, ceux-ci étaient la seule force sociale importante à avoir opté pour la conservation des comitats. Rákóczi, dans un premier temps, n’accepta pas puis, en septembre 1630, il se rallia au camp des haïdouks. Il s’y décida seulement après avoir reçu du frère du feu Prince, István Bethlen, un message l’exhortant au ralliement.

Au moment d’envoyer son message, István Bethlen était encore le gouverneur de Catherine de Brandebourg: mais, au moment où Rákóczi arriva avec les haïdouks, il était déjà Prince. Entre-temps, le 28 septembre, on avait fait abdiquer Catherine, fatiguée de régner, et Etienne Bethlen fut élu. La situation était plus qu’embrouillée, d’autant plus que Rákóczi ne fit pas demi-tour. Le palatin Esterházy eut beau envoyer des ordres de rappel, de même que le nouveau Prince des menaces. Au lieu de rentrer, Rákóczi envoya István Bethlen jeune demander l’aide de Mouharren pacha, commandant de Szolnok. Pourtant, Rákóczi ne pénétra qu’une seule fois au-delà de Várad, et ce fut pour contraindre le nouveau Prince Etienne Bethlen à négocier.

Finalement, ils se mirent d’accord à la fin d’octobre. Etant donné que leur situation à tous deux était instable et que la Porte ne donnait visiblement sa préférence à aucun d’eux, ils décidèrent de laisser le choix à la Diète de Transylvanie.

Que dans un délai de six semaines l’on choisisse entre eux deux, telle fut la position commune d’Etienne Bethlen et de György Rákóczi. Ils voyaient la situation avec justesse: deux firmans du Sultan furent envoyés en Transylvanie. L’un ordonnait l’élection d’Etienne Bethlen, l’autre celle de György Rákóczi. C’était Catherine de Brandebourg qui devait décider lequel serait élu à la Diète. Elle avait toujours méprisé son beau-frère et son choix se porta donc sur Rákóczi.

L’élection du nouveau Prince, György Ier Rákóczi, eut lieu le Ier décembre 1630. Rákóczi reçut la bonne nouvelle à Várad et il partit, avant Noël, pour la Transylvanie afin d’y occuper son trône. Le lendemain de son arrivée, Mouharren, le pacha de Szolnok, ainsi que l’envoyé du caïmacan étaient là. Il prêta son serment de Prince, le 24 décembre, en leur présence.

Quelques mois plus tard, il mit un terme au mouvement des haïdouks qui, sous la conduite d’István Bethlen jeune et de Dávid Zólyomi, avaient attaqué le Royaume. Ils auraient souhaité que le nouveau Prince prît leur parti sur la question des comitats de la Haute-Hongrie. Mais celui-ci, au lieu de continuer la lutte commencée avec succès par les haïdouks, signa la paix avec Ferdinand II. Le 3 avril 1631, il s’engagea même à ne plus jamais utiliser la force des haïdouks.

{f-317.} Situation avantageuse à l’extérieur, confrontations à l’intérieur. Politique économique

Les Ordres de Transylvanie, après l’élection de György (Georges) Rákóczi, saluèrent le nouveau Prince en se souvenant de son père. Pourtant, la ressemblance entre Sigismond Rákóczi et son fils était fort lointaine. Le père était d’un caractère plutôt souple et avait le contact facile. En effet, c’était par sa facilité à s’adapter aux situations nouvelles qu’il avait réussi à s’élever au rang de Prince. Puis, quand il apparut qu’il était de son devoir de se retirer – dans l’intérêt du pays –, il n’hésita pas. Georges Rákóczi, au contraire, avait, dès le début de sa course au pouvoir, fait savoir au palatin que, même s’il devait lui en coûter la vie, il n’abandonnerait pas la partie.

Georges Ier Rákóczi avait un caractère entêté et se raccrochait avec tenacité à ce à quoi, selon lui, il avait droit. Il était également dur et exigeant à l’égard de ses sujets. Pendant son règne, il leur arracha par la voie juridique plus de domaines que n’importe quel autre souverain de Hongrie avant lui. Il réussit cependant à devenir un grand personnage de l’histoire transylvaine parce qu’il eut la chance de prendre les rênes du pouvoir dans des circonstances très favorables. Son règne correspondit, dans cette région de l’Europe, à des années de paix relative, après de longues décennies de guerre.

La guerre de Trente ans, qui épuisait toutes les forces des Habsbourg, les entraîna, en 1630, au plus bas de leur pouvoir. Pendant longtemps, ils furent incapables d’entreprendre quoi que ce soit en Hongrie. Quant à la Porte, elle avait dû subir, depuis 1622, des révoltes de janissaires qui se succédaient à un rythme soutenu. Après 1630, pendant plus de vingt ans, la présence de la Porte devint à peine perceptible en Europe.

Le fait que trois Princes se soient succédés en Transylvanie en 1629-1630 sans aucune intervention des grandes puissances témoigne de l’accalmie qui régnait dans la politique européenne. Un acte de Rákóczi provoqua cependant un orage à l’intérieur du pays car, selon les termes de la paix signée en 1631 à propos des haïdouks, il s’engagea à laisser entrer une garde impériale à Ónod, un des châteaux de sa famille. Le château resterait entre leurs mains jusqu’à ce qu’un de ses fils s’installât définitivement en Hongrie en tant que vassal du roi. Du moment que les fils en question n’avaient, à l’époque, qu’à peu près dix ans, il était clair que cette mesure s’appliquait à long terme. Elle touchait, en dehors des Rákóczi, les habitants d’importants territoires, car Ónod se trouvait à l’embouchure du Sajó, face à Eger, ce qui lui conférait une grande importance stratégique. A la limite des territoires occupés par les Turcs, cette place forte défendait non seulement les domaines mais aussi le peuple de la région. Sa garnison, composée de soldats recrutés sur les domaines seigneuriaux environnants, défendait les biens de ceux-ci, de leurs frères et de toute leur famille contre les Turcs maraudeurs. Les habitants de cette contrée prirent peur. Quel serait le comportement des soldats impériaux venus de si lointaines régions?

Dans les environs d’Ónod, les gens simples avaient le sentiment d’avoir été abandonnés par les puissants. Ils commencèrent donc à organiser leur propre défense. A l’exemple des haïdouks, ils se mirent tout d’abord en quête d’un chef noble puis, ne le trouvant pas, ce furent les capitaines paysans qui, sous la direction de Péter Császár, prirent les choses en main. Ils commencèrent par envoyer, dans les villages des environs d’Ónod, des lettres invitant la population à se rallier à eux. Pour la fin de juillet 1631, ils projetèrent une réunion commune avec la noblesse, mais les seigneurs s’y opposèrent. Ainsi, à la {f-318.} mi-août, à Gönc, un état-major de chefs paysans fut élu, qui représentait les différents comitats. Dès lors apparut clairement le caractère ambigu du mouvement, à savoir, face à l’aile radicale qui avait des exigences essentiellement sociales, Császár cherchait un chef noble. Ils envoyèrent un émissaire auprès de Dávid Zólyomi, mais ce dernier leur dit de s’adresser au Prince. Péter Császár se rendit à Gyulafehérvár en janvier 1632. Son sort fut scellé.

Le mouvement des paysans, en effet, laissa longtemps indifférents les seigneurs de Hongrie. Comme cela se déroulait sur le domaine des Rákóczi et touchait en premier lieu le Prince, bon nombre d’entre eux considéraient les événements avec une joie à peine dissimulée. Cependant, dès qu’il apparut que Rákóczi n’irait peut-être pas contre les paysans mais qu’il deviendrait leur allié, les dirigeants politiques du Royaume se retournèrent contre les insurgés. Ils arrêtèrent Péter Császár puis, le 2 mars 1632, ils le jugèrent en cour martiale, à Kassa. Sur la base d’accusations politiques, il fut d’abord atrocement torturé puis exécuté.

Jusque-là, il n’y avait pas eu d’action importante à l’encontre des seigneurs, mais la mort de Péter Császár fit naître une rage populaire. La noblesse de la Haute-Hongrie tenta de négocier mais il était déjà trop tard. Une partie de la paysannerie déposa tout de même les armes, mais la majorité partit vers la Transylvanie. Ils n’arrivèrent pas à destination. István Bethlen jeune, aidé de Dávid Zólyomi, les vainquit dans une cruelle bataille.

Depuis la mort de Gabriel Bethlen, les deux jeunes politiciens s’employaient à organiser l’attaque du Royaume. En fait, dans les années 1630, cela n’aurait été probablement d’aucune utilité. Il est à noter cependant que, indépendamment des chances d’une guerre pareille, ils prirent peur devant la possibilité que leur offrait le mouvement des paysans. Ils ne voulaient pas obtenir le succès convoité à la tête d’une armée de paysans.

Ce n’est certainement pas l’échec éventuel de l’entreprise qui les en retenait car, si István Bethlen jeune mourait à la fin de 1632, Zólyomi, lui, déploya, dans le but d’organiser une attaque contre les Habsbourg, une intense activité diplomatique. Il se vantait de recevoir parfois les ambassadeurs de trois souverains étrangers à la fois. Ce fut là la raison qui détermina Georges Ier Rákóczi, qui lui devait pourtant beaucoup, à le faire arrêter, au printemps de 1633, et à faire juger le jeune homme pour haute trahison.

Au même moment, le jeune Mózes Székely fut également jugé. Il avait tenté d’obtenir le trône princier en tâchant de mettre de son côté les anciens fidèles de son père, ce à quoi il obtint l’aide de la Porte. Rákóczi n’essaya pas de dissuader la Porte mais fit tout simplement jeter Székely en prison et le fit condamner avec ses compagnons. Le Prince se servit de l’affaire de Mózes Székely et de Zólyomi pour faire peur à l’opposition. Et il ne s’en tint pas là. Le règne de Georges Ier Rákóczi ne vit s’écouler pratiquement aucune année où on ne prononçât la peine capitale et la confiscation des biens.

Le coup le plus dur fut subi par les sabbatariens, cette confession antitrinitaire s’inspirant pourtant de la Réforme, et qui vivait tranquillement depuis des dizaines d’années en Transylvanie. S’il arrivait auparavant qu’ils dépassaient les questions de la théologie, ils se limitaient en général à des revendications sociales assez vagues. Mais, à partir des années 1620, quelques-uns des chefs de l’opposition étaient issus de leurs rangs. Mózes Székely avait aussi une formation sabbatarienne. A l’époque, Gabriel Bethlen ne se préoccupait guère d’eux. Il les utilisait plutôt dans ses affaires avec la Porte.

Rákóczi, au contraire, éprouvait une antipathie marquée à l’égard de leur, théologie et ne tolérait pas leur activité politique. Un autre point de vue non {f-319.} négligeable: il lui semblait possible d’accaparer les domaines des sabbatariens. Destinée à souligner le caractère idéologique, fictif, de la persécution, une controverse avait été organisée à Dés; puis, tout de suite après, en juillet 1638, tombèrent les jugements: une partie des accusés retourna dans les Eglises officiellement reconnues, mais ceux qui restèrent fidèles à leur foi furent condamnés à mort et à la confiscation de leurs biens. Le Prince épargna finalement leur vie et se contenta de confisquer leurs biens à tous, sans faire aucune distinction. Cette affaire ne compta qu’un seul mort: János Torockai, orfèvre de Kolozsvár, qui fut condamné à être lapidé.

En employant la force contre les sabbatariens, Rákóczi ne parvint pas à se débarrasser complètement de l’opposition. Plus tard, il recourut également aux jugements pour trahison. Cette méthode lui permit, outre le chantage politique, d’agrandir les domaines princiers.

Ràkoczi avait besoin de grands domaines car, par rapport à l’époque de Gabriel Bethlen, il refonds économiquement le pouvoir princier. Au lieu de favoriser le commerce d’Etat et de pratiquer une politique mercantiliste, il s’efforçait d’augmenter sa fortune personnelle. Il substitua aux démarches complexes de la politique économique une «faim» de terres d’une intensité presque maladive.

Il était très habile dans ses démarches pour accaparer de nouveaux domaines. Pendant son règne de vingt ans, il multiplia le domaine familial des Rákóczi: au moment de son élection, il avait dix grands domaines sous sa coupe; son testament en compte 32.

Vers 1648, en Hongrie et en Transylvanie, 27 000 familles de serfs travaillaient sur les domaines des Rákóczi: ses innombrables villages et ses 56 bourgades comptaient plus de 100 000 habitants. 54 fermes et caves servaient exclusivement à produire pour les besoins de la famille ou pour la vente. Les proportions se dégagent nettement lorsqu’on considère le fait que le Prince avait, à lui seul, davantage de serfs que tous les seigneurs de Transylvanie réunis.

Rákóczi instaura ainsi un pouvoir personnel à caractère plutôt médiéval. Il était probablement unique en son genre parmi les souverains du XVIIe siècle qui, en général, étaient plutôt portés à profiter des finances de l’Etat. Néanmoins, son pouvoir ne restait en rien derrière celui des autres. Basé sur sa fortune personnelle, il est vrai, le pouvoir princier était sous son règne tout aussi indépendant des Ordres que sous Gabriel Bethlen.

Ses sujets avaient même la vie plus facile que sous celui-ci. Les privilèges de l’Etat en matière de commerce furent supprimés et Rákóczi diminuait l’impôt d’un quart.

Victoire sur les Turcs

Le pouvoir du Prince ne s’est manifesté vers l’extérieur que bien plus tard. Et quand il participa, par deux fois, à des entreprises internationales, il y fut vigoureusement poussé par les circonstances.

Il dut tout d’abord se porter contre les Turcs car le beylerbey de Buda, fils du Grand vizir Nassou, avait perturbé les rapports de la Transylvanie avec la Porte. Il y avait derrière cet acte de mauvaise foi un motif personnel: l’aversion mutuelle qui opposait Nassou Hussein et Rákóczi. Mais le fait que plusieurs notables turcs de l’entourage du commandant turc de Buda eussent fomenté une révolte contre Constantinople y contribuait encore davantage. Ils {f-320.} auraient voulu gouverner toute la région qui se trouvait autour de la Hongrie et ce, sans l’intervention des instances du plus haut niveau.

L’homme que les frondeurs turcs opposés à la Porte choisirent comme instrument fut le vieux Etienne Bethlen qui s’était rendu à Buda en 1635, en fuyant les procès de lèse-majesté dont étaient inculpés son gendre Zólyomi et son fils Péter Bethlen, l’un et l’autre en prison. Il avait de bonnes raisons de soupçonner que Rákóczi n’allait pas épargner les membres de la famille du Prince précédent tandis que, pour Nassou Hussein, le prétexte de protéger Etienne Bethlen venait à point nommé pour intervenir contre Rákóczi.

Le Prince tentait de stopper cette action par l’intermédiaire des grands dignitaires de Constantinople. Mais ces derniers remirent au divan du gouverneur de Buda le soin de trancher entre Rákóczi et Bethlen. Le Prince se trouva donc dans une situation plutôt désespérée car il était notoire que Buda favoriserait Etienne Bethlen. Les seigneurs du Royaume lui déconseillaient de faire la guerre. Péter Pázmány et Miklós Esterházy lui suggérèrent d’éviter à tout prix la confrontation armée. Rákóczi n’en fit pas moins ses préparatifs; il n’avait d’ailleurs guère le choix. Finalement, la chance se mit de son côté. Pendant une nuit d’octobre 1636, ses soldats mirent en fuite les Turcs qui campaient à Szalonta à l’aide d’une ruse qui rappelle celle des contes populaires. Plusieurs mois après cette action, on trouvait encore des cadavres de Turcs richement parés dans les marais des environs et le commerce de captifs fleurit pendant des années.

Rákóczi sortit donc vainqueur de cette guerre qu’il n’avait pas provoquée. Depuis des dizaines d’années, aucun Prince de Transylvanie n’avait réussi à battre les Turcs. La gloire de cet exploit lui revenait en personne, bien qu’il ne se fût pas confronté avec Constantinople, mais seulement avec son opposition. Sa renommée s’en accrut considérablement tant dans le pays qu’à l’étranger.

La guerre avec les Habsbourg et la paix séparée

Il entreprit une autre grande opération pour répondre aux attentes de l’opinion internationale. Tout le monde trouvait naturel qu’il continuât la politique anti-Habsbourg de son grand prédécessur, Gabriel Bethlen; on ne cessait de tâter ses intentions, aussi bien du côté de Vienne que dans le Royaume de Hongrie et parmi les anciens alliés de Bethlen. Bien qu’après sa victoire sur les Turcs, il pût négocier dans une meilleure position avec les représentants du parti des Habsbourg, il ne laissa, pendant longtemps, rien transparaître de ses projets.

La méfiance des Habsbourg, l’impatience de l’autre camp finirent par avoir raison du calme de Rákóczi, au terme de treize années de passivité. Au printemps de 1643, il signa un traité avec la reine Christine de Suède puis, en février de l’année suivante, il partit en guerre contre Ferdinand II. Il finit ainsi par s’engager lui aussi dans la guerre de Trente ans. Quant aux motifs du choix de cette date, nous sommes réduits aux conjectures. En fait, la situation politique du Royaume avait offert à Rákóczi des moments bien plus propices. Il est vrai qu’il ne pouvait trouver dans le Royaume un partisan et allié aussi efficace que Gabriel Bethlen avait pu s’assurer, à l’époque, en sa propre personne. Il ne pouvait pas non plus prétendre que les habitants du Royaume faisaient appel à son aide. Aussi, quand il lança l’idée de restaurer la royauté nationale, les magnats les plus influents ne se rangèrent-ils pas de son côté, {f-321.} puisqu’il exhortait en même temps les Hongrois à défendre la liberté du culte protestant alors que, vers la fin de l’année 1644, la majeure partie des grands propriétaires fonciers s’étaient déjà convertis au catholicisme. En simplifiant un peu ce processus complexe, on peut dire qu’après avoir fait une expérience aux côtés de Bethlen, c’est en retournant à la religion de la dynastie que les seigneurs voulaient manifester la sincérité de leur volonté de reconciliation. Ainsi, au moment de la campagne de Rákóczi, la question de la liberté du culte les laissa indifférents. Cependant, sans eux, il ne pouvait être question de détrôner les Habsbourg.

La campagne débuta avec des succès spectaculaires et ce, malgré le fait que les alliés occidentaux eussent manqué à leurs promesses – tout comme ils l’avaient fait à l’époque de Bethlen – de l’aider militairement. Il ne reçut finalement, vers la fin de l’entreprise, qu’une aide de 200 000 Reichsthalers, venue de France. Même dans ces conditions, Rákóczi ne subit sa première défaite que le 9 avril à Galgóc. A partir de cette date, la chance lui tourna le dos et l’armée impériale remporta plusieurs victoires. Bien qu’il réussît à conserver Kassa, grâce à l’assistance des paysans de la région, les derniers événements convainquirent le Prince qu’au lieu de chercher fortune sur le champ de bataille, il fallait opter pour la négociation.

Une appréciation qui s’avéra juste. En début de 1645, Rákóczi se trouvait sans aucun doute dans une mauvaise position militaire, quand ses brillants diplomates conclurent avec succès la première étape des négociations. On avait tranché les questions d’intérêt général et il restait encore à satisfaire aux exigences personnelles du Prince. Parmi les dispositions générales du traité de Linz, signé en 1645, la plus importante était celle qui assurait la liberté du culte en l’étendant même aux paysans. Une autre octroyait au Prince en compensation les sept comitats de la Haute-Hongrie ainsi que plusieurs grands domaines.

Si Ferdinand III fit, en fin de compte, de grandes concessions, il avait toutes les raisons d’agir ainsi. Car, malgré tout, Rákóczi bénéficiait indirectement de l’aide de ses alliés: la nouvelle de l’approche des troupes suédoises contraignit l’Empereur à accepter toutes les conditions. Au mois de juin, Rákóczi avait envoyé son fils préféré, Zsigmond, et le général en chef de ses armées, János Kemény, auprès des alliés, en Moravie. Mais, après avoir pris connaissance du texte définitif du traité de paix, il n’hésita plus. Il rappela tout de suite les hommes se trouvant dans le camp suédois.

L’indifférence des alliés.
Les derniers projets de Rákóczi

Pour justifier le départ de son fils et de ses gens, le Prince affirma à Torstensson, le général commandant de l’armée suédoise (qui dut abandonner, en raison de ce départ, le siège de Brünn) qu’il les avait rappelés sous la pression de la Porte. Prétexte crédible, mais impossible à contrôler. Personne ne songeait probablement d’ailleurs à le vérifier car, à partir de l’été de 1645, les ennemis de l’Empereur remportèrent victoire sur victoire: ils n’avaient donc plus besoin de Rákóczi. Entre-temps, les envoyés négociaient la paix en Westphalie. Avant même que les ennemis de Ferdinand III n’arrivassent sous les murs de Prague pour y mettre le siège, la guerre était terminée.

Renoncer au siège de Prague était une décision bien symptomatique: elle exprimait l’indifférence totale des alliés occidentaux à l’égard du royaume de {f-322.} Bohême. La Bohême avait été vaincue par l’Empereur dès le début de la guerre, et désormais personne ne s’intéressait plus à son sort. Lorsque, Ferdinand III signa le traité de Westphalie, il n’y fut fait aucune mention du royaume de Bohême, pas plus que de la situation en Hongrie. Les diplomates de Rákóczi réussirent tout au plus à ce que la Transylvanie figure, comme alliée de la Suède et de l’Angleterre, dans le registre de la Nouvelle Europe, parmi les pays énumérés à côté des signataires de la paix de Westphalie.

L’indifférence des Occidentaux quant au sort des régions entourant la Hongrie était évidente et d’ailleurs compréhensible. En politique internationale, on ne fait pas d’actes d’humanité. Les Princes de Transylvanie se comportaient de même dans la guerre de Trente ans. Ils soutenaient leurs alliés dans la seule mesure où ils y trouvaient leur intérêt. Bethlen les abandonna sous Vienne, Rákóczi rappela ses troupes de sous les murs de Brünn.

Peut-être était-ce l’insuccès de la coopération avec les Occidentaux qui tourna l’intérêt de Rákóczi vers la Pologne, attitude qui ne semblait en aucune manière chimérique puisqu’un Prince de Transylvanie était déjà monté avant lui sur le trône de Pologne. Les Polonais eux-mêmes l’y encourageaient: il était en relation avec Janusz Radziwiłł, le duc d’Ostorog, qui préparait avec les gens de son parti le grand projet selon lequel, après la mort du maladif Vladislas IV, Zsigmond Rákóczi, le fils cadet du Prince, deviendrait roi. La diplomatie transylvaine avait déjà entamé les premières démarches dans ce sens, lorsque le projet revêtit soudain une importance particulière.

Rákóczi avait eu connaissance, au cours de l’été de 1648, du soulèvement des cosaques de Pologne. Il perçut immédiatement en eux un allié potentiel et, peut-être pour la première fois de sa vie, il prit lui-même l’initiative de contacter le chef des cosaques. Le hetman Bogdan Khmelnitski – invoquant la mémoire d’Etienne Báthori qu’il adulait – lui promit son aide. Mais Georges Ier Rákóczi ne put lire sa belle lettre car il mourut le 11 octobre 1648. Il laissa à ses fils György et Zsigmond la tâche de réaliser ses projets. L’héritier du trône de Transylvanie fut l’aîné de ses fils, Georges II Rákóczi.