1. L’instauration du despotisme


Table des matières

A la fin de l’été 1849, la secousse la plus grave de l’histoire de l’Empire fut suivie d’un instant particulièrement favorable pour la Cour impériale. Les révolutions réprimées avaient mis en route, irrévocablement, la transformation bourgeoise de la société et de l’économie et créé ainsi les conditions d’une modernisation de l’Empire. Après la victoire sur les mouvements révolutionnaires et d’indépendance des Hongrois, dans le silence européen garanti par les baïonnettes du Tsar et par la politique étrangère britannique, Vienne pouvait entamer, sans risques majeurs, la réorganisation de l’Empire, le renforcement de son unité.

Répression et consolidation

Le 11 août 1849, on proclama la constitution de cours martiales en Transylvanie afin que «toutes les fautes, toutes les félonies et tous les méfaits» commis sous la révolution hongroise fussent sanctionnés.

Haynau assura, tout fier, Vienne: «Il n’y aura plus de révolution en Hongrie pour un siècle, car j’ai extirpé la mauvaise herbe jusqu’à la racine.»*Lettre de Haynau du 24 août 1849 au général de division Karl v. Schönhals, in: Az aradi vértanúk (Les martyrs d’Arad). Réuni et préf. par TAMÁS KATONA, Budapest, 1979, II, 70. Il donna des instructions détaillées pour que «tous les chefs des insurgés fussent pendus. Ceux qui ont servi comme simples soldats ou comme sous-officiers dans l’armée rebelle ou ailleurs: Roumains, Croates, Saxons doivent être sur-lechamp renvoyés chez eux. Hongrois, Sicules, Polonais et ceux qui appartenaient à la légion allemande doivent être incorporés.»*Instruction de Haynau du 21 août 1849 à Ludwig v. Wohlgemuth. Ibid. 58.

Les cours martiales rendaient des jugements à longueur de journée. A Arad, des 475 officiers inculpés, 231 furent condamnés à mort, il est vrai que beaucoup moins furent exécutés. Après l’exécution des 13 généraux de l’armée révolutionnaire, on fusilla, le 25 octobre, à Arad, le général Lajos Kazinczy, le dernier commandant de l’armée de Transylvanie. Pour la seule Transylvanie, 72 officiers et 25 civils furent condamnés à mort, 64 personnes à de lourdes peines de captivité. Ce fut avec une singulière obstination que l’on {f-502.} persécuta les dirigeants de l’insurrection sicule, ceux-ci étant coupables de ce que les forces impériales n’avaient pas réussi, en 1848, en venant de Transylvanie, à prendre à revers la révolution hongroise et à l’étouffer en temps voulu.

Cependant, la répression en Transylvanie fut globalement moins forte qu’en Hongrie proprement dite. Le camp révolutionnaire y était plus restreint, les combats s’y prolongeaient, ce qui permettait aux personnes les plus engagées de quitter le pays à temps.

La répression s’accompagnait également de gratifications. Le comes saxon Franz Salmen et l’évêque orthodoxe roumain Andrei Şaguna reçurent les plus hautes distinctions. Outre un ou deux officiers hongrois et plusieurs officiers saxons, la croix du mérite, en or, fut également attribuée à quelques «tribuns» roumains, sans oublier, pour l’exemple, quelques paysans qui avaient fait montre de leur fidélité ou qui avaient beaucoup souffert.

Face aux militaires, le gouvernement, qui comprenait des ministres libéraux, incarnait l’autre visage de la contre-révolution: les efforts de modernisation, l’application inévitable des mesures entamées par la révolution. Le gouvernement tenta de substituer au principe de liberté nationale garantie à tous les peuples celui de la monarchie centralisée et, au lieu de réintroduire la constitutionnalité, pourtant promise au départ, il élargit les libertés individuelles. Le gouvernement ne devint pas, bien entendu, un cabinet de réformes. D’ailleurs, dès 1851, sous la direction du ministre de l’Intérieur, Alexander Bach, éponyme de la période, il se sclérosa très fortement.

Le premier gouverneur militaire et civil de Transylvanie, le baron Ludwig Wohlgemuth, arriva dans cette province frontalière du Sud avec l’instruction secrète d’en éliminer tous les traits particuliers et de la rattacher à la Monarchie. Le siège du gouvernement local fut de nouveau transféré de Kolozsvár à Nagyszeben, les militaires devinrent maîtres tout-puissants de la province.

Dans la Transylvanie aux villages incendiés, aux villes fortement éprouvées, les nouvelles charges, le nouveau système d’imposition, désormais fondé sur l’égalité fiscale, ajoutés aux anciennes prestations dues à une armée plus importante signifièrent, pour la population, autant d’épreuves que la répression et les persécutions. Faute d’un système logistique fonctionnant convenablement, quantité de transports militaires affectaient les habitants du Sud de la Transylvanie. Ce fut un véritable fléau que le cantonnement des soldats et des officiers, fléau qui n’épargna ni la noblesse, ni les villes saxonnes, ni les fidèles serviteurs du régime. Le tout fut couronné par le retrait des banknotes «Kossuth», mesure qui provoqua une grave pénurie d’argent et par une épidémie de peste bovine orientale. Un soutien de l’Etat était nécessaire pour remettre la Transylvanie sur pied mais il restait peu d’argent à consacrer à cette fin et ce qui fut distribué le fut selon des critères politiques. En 1850, l’Universitas saxonne reçut, à des conditions avantageuses de remboursement, un prêt du Trésor de 1,5 million de florins. Par contre, la Terre sicule à population hongroise, fut imposée d’une taxe collective au titre de «l’infidélité» en 1848-49

Au printemps de 1851, après la mort subite de Wohlgemuth, le prince Carl zu Schwarzenberg fut nommé gouverneur de la Transylvanie. Le général Schwarzenberg, qui appartenait à la plus grande famille aristocratique de Bohême faisait montre d’une largeur d’esprit propre à son milieu d’origine et reçut des attributions plus larges que son prédécesseur. Il tint demeure à Kolozsvár, apprit le hongrois, fit souvent des parties de chasse avec les magnats et en fréquenta certains. Mais tout ceci ne changea pas le fond de son comportement politique.

{f-503.} Le gouvernement voulait faire de la Transylvanie une province bien tenue en main, calme, mettant tous ses efforts et productions au service de l’Empereur et lui vouant une obéissance inconditionnelle.

Aucun programme particulier propre aux conditions spécifiques de la Transylvanie ne fut lancé. Cette politique, allant de pair avec la faiblesse des forces intérieures, fit que le développement de la Transylvanie resta, par la suite, tributaire de ses relations avec l’Empire et la Hongrie proprement dite.

La structure de l’absolutisme

Avec l’écrasement de la guerre d’indépendance, l’union devint, bien entendu, caduque, et la Transylvanie, avec le Partium, était à nouveau gouvernée séparément. Les conditions ethniques ayant été plus ou moins prises en considération, six districts furent fondés, trois roumains, deux hongrois et un saxon. A leur tête, on plaça un commandant militaire qui exerçait le pouvoir exécutif et émettait les arrêtés les plus importants. Un minimum d’influence civile était assuré par la présence de commissaires civils locaux subordonnés au commissaire impérial Eduard Bach, qui ne pouvaient d’ailleurs transmettre leurs rapports à Nagyszeben qu’une fois visés par les commandants militaires. Faisait exception le district saxon de Szeben, constitué à partir du territoire de Königsboden, qui avait en partie conservé son autonomie et dont le commissaire civil fut le comes saxon Franz Salmen. Le commandant de district ou le gouverneur militaire en personne nommaient les maires qui exécutaient les tâches officielles selon les directives du commissaire civil du district.

L’administration nécessitait un nombre important de fonctionnaires sûrs la plupart étaient sortis des rangs des Saxons, mais beaucoup venaient également de la partie occidentale de l’Empire.

L’élargissement de l’organisation policière commença par la création, en 1851, d’un réseau de gendarmeries de caractère militaire qui couvrait tout l’Empire autrichien, et se prolongeait aussi en Transylvanie.

Dans le cadre de ces transformations on créa en 1852, une police politique autonome dont la tâche fut de surveiller tous les domaines de la vie, du tourisme au théâtre. Dans le réseau de police et de gendarmerie, l’armée des mouchards, présents dans toutes les couches de la société, jouissait d’une place importante.

Surveiller la vie culturelle devint une attribution policière de premier rang. L’ouverture de salles de danse, de théâtres était soumise à l’agrément du gouverneur, quelle que fût la pièce représentée. Aucun livre ne pouvait être importé de l’étranger sans l’autorisation du gouverneur. Pour l’édition d’un journal un peu plus sérieux, l’aval même du chef de la Sûreté de l’Empire était nécessaire. En conséquence de la centralisation, le fonctionnement de toute société artistique ou scientifique, ou celui d’associations économiques, de caisses d’épargne dépendait directement de l’approbation de l’Empereur ou du ministre de l’Intérieur.

La nouvelle fiscalité reposait sur l’égalité des charges et un barème uniforme pour toute la Transylvanie. Elle assurait de deux manières à l’Etat sa part financière des biens produits. Outre les impôts directs (impôts fonciers, impôts sur les surfaces bâties, impôt cédulaire, impôt sur le revenu), les impôts indirects qui taxaient la consommation jouaient également un grand rôle.

Les premiers organismes juridiques furent les cours martiales. Au cours de l’été 1850, dans le cadre de la séparation de l’administration et de la justice, {f-504.} les bases du système judiciaire moderne transylvain furent posées. Puis, en 1852 et en 1853, on introduisit une nouvelle procédure ainsi que le code pénal et le code civil autrichiens.

Les décrets sur la justice, les finances, les affaires intérieures publiés en janvier 1853 précisaient les mesures administratives peut-être les plus importantes de l’absolutisme. Le gouvernement qui dirigeait cette province de la Couronne jouait, pour l’essentiel, le rôle de trait-d’union entre les organismes locaux et les organismes du gouvernement central viennois. Le gouverneur civil et militaire, pourvu des pleins pouvoirs, prenait désormais en tant que procureur, des dispositions dans les affaires politiques, mais était subordonné au ministre de l’Intérieur. Pendant l’été de 1854, on modifia les divisions administratives, substituant dix districts aux six qui constituaient jusque-là le pays, les divisions judiciaires et fiscales ayant été prises en considération. La région frontalière commença à revêtir un caractère civil dès 1851, lorsque, après les régiments sicules, deux régiments d’infanterie roumains furent dissous. L’autonomie saxonne prit également fin: la dissolution de l’Assemblée d’Universitas fut prononcée, de même que la cessation de ses fonctions judiciaires.

Le nouveau régime absolutiste constituait un grand progrès par rapport aux institutions séculaires du féodalisme et par rapport à l’appareil éphémère du pouvoir militaire. Mais, il comportait des traits négatifs qui mettaient en question la valeur de ses innovations.

Durant une dizaine d’années, la Transylvanie était en réalité directement gouvernée depuis Vienne, par l’intermédiaire de gouverneurs étrangers munis d’instructions secrètes. Le souverain pouvait non seulement promulguer mais également modifier ou abroger, à n’importe quel moment, les lois et les décrets. Aussi fut-ce de vains efforts de la part de l’absolutisme que de prendre des mesures administratives professionnellement valables, puisque toute activités étatique avait un caractère temporaire, et que le contrôle public, d’importance capitale pour la société civile, car permettant la participation à l’exercice du pouvoir, faisaient on ne peut plus défaut.