{f-535.} 2. L’économie


Table des matières

Les préalables d’une transformation capitaliste

Les grands changements du siècle passé furent: la désintégration de la structure économique héritée du féodalisme au cours des décennies qui suivirent la révolution de 1848; la formation des classes caractéristiques de la nouvelle société et la mise en place des fondements d’une économie capitaliste. La «nouvelle société» devait longtemps fonctionner comme une structure composite où coexistaient différents modes de production, mais où le mode capitaliste devenait peu à peu dominant. En cinquante ans, toute la Hongrie put s’intégrer au système international de l’économie capitaliste.

La Transylvanie était une des régions les plus arriérées de la Monarchie; avant 1848, la production agricole pour le marché n’était que sporadique; l’agriculture, l’industrie et l’urbanisation se trouvaient à un niveau nettement plus bas que dans les territoires de l’Ouest du pays. Jusqu’en 1868, les voies ferroviaires venant de là ne dépassaient pas les villes les plus rapprochées, telles Nagyvárad, Temesvár, Arad.

Les premiers pas vers les nouvelles formes modernes de crédit avaient été franchis dans les banques saxonnes de Brassó et de Nagyszeben. C’était seulement en 1845 que la Banque Nationale de Vienne introduisit à Brassó le système d’escompte. En 1857, une succursale de la Creditanstalt de Vienne fut ouverte dans cette ville puis, en 1865, ce fut le tour de Kolozsvár où une modeste Banque de Crédit ouvrit ses portes. Ce n’est qu’ après 1867 et surtout à partir de la fin du siècle que la vie financière commença à se développer. En 1873 20, en 1894 85, en 1909 223 banques et caisses d’épargnes fonctionnaient en Transylvanie, le nombre des coopératives de crédit atteignant à cette dernière date le chiffre de 497 avec quelque 110 000 membres. Le volume d’emprunts fonciers hypothécaires dépassait, en 1910, les cent millions de couronnes et les crédits accordés pour la réalisation d’śuvres d’utilité publique ou du ressort de l’administration augmentaient plus vite que la moyenne nationale.

Dans l’agriculture, c’était le système de l’assolement qui restait prépondérant, et la proportion des branches de cultures intensives (céréales, horticulture, vigne, prairies) n’atteignait, en 1869, que 43,7%, à peine plus qu’en Croatie. Le nombre des ouvriers était bien plus bas que celui des paysans individuels. En 1872, il n’y avait que 38 machines à vapeur utilisées dans cette province, juste la moitié du nombre de machines utilisées dans un seul comitat de Transdanubie.

Entre 1857 et 1869, le retard de l’industrie transylvaine par rapport à celle de l’ensemble du pays diminua sensiblement. La proportion des artisans individuels et surtout des ouvriers industriels et des employés par rapport à la population augmentait à un rythme plus grand (21,2%) que la moyenne nationale. Au moment du Compromis, cette catégorie représentait 3,9% de la population transylvaine. Avant 1867, l’énergie mécanique était seulement utilisée dans l’industrie du fer et des métaux, dans l’industrie meunière et les distilleries, le parc de machines étant toutefois de dix fois inférieur à celui de la Transdanubie.

L’offre en main-d’śuvre n’était jamais en harmonie avec la demande de l’industrie. Tant en ouvriers spécialisés qu’en manoeuvras, la demande était {f-536.} plus forte que l’offre. Par contre, le journalier avait souvent des difficultés à trouver du travail.

L’enseignement qui, du point vue de la formation d’une main-d’śuvre spécialisée, est d’une importance primordiale, ne se développa que bien plus tard. En 1869, seuls 21,7% des hommes savaient lire et écrire, 56,7% des enfants âgés de plus de six ans étaient totalement illettrés, 59% des enfants scolarisables ne fréquentaient pas l’école. Ce ne fut qu’à la fin du siècle que cette proportion passa à 30%.

L’émancipation des serfs ne fut suivie qu’avec un grand retard par la modernisation de l’économie rurale. Les grands domaines, tout en étant marqués par la modernisation, poursuivaient leur activité peu axée sur le profit, et l’économie paysanne, en raison de ses traditions, de son état arriéré, allant de pair avec un analphabétisme rural, et aussi à cause de ses dimensions modestes, ne parvenait pas à se moderniser. L’agriculture, qui arriva à amasser de l’argent, le dépensait moins pour des machines que pour acheter des terres. La majorité des petits artisans continuaient, même dans les conditions nouvelles, à travailler pour satisfaire des besoins traditionnels.

L’Etat, qui avait joué un rôle si important dans le progrès de l’industrialisation, abandonna, après 1849, progressivement ses tentatives d’introduction des nouvelles techniques, et vendit même quelques-unes des industries qu’il détenait. Ce ne sera qu’au cours de la période dualiste que l’Etat prendra de nouveau des initiatives plus importantes (en plus du développement de l’industrie) en matière de modernisation de la technologie. A partir des années 80, le capital étranger tentait lui aussi d’instaurer de nouveaux procédés de production. Cependant, l’industrie et les mines restèrent, jusqu’à la fin du siècle, des îlots de modernité contrastant avec le milieu environnant qui continuait à être régi selon des rapports humains traditionnels et l’ancien ordre des valeurs. L’industrie manufacturière saxonne, fortement développée dans les villes, avait déjà créé, à partir des années 50, plusieurs petits ateliers qui travaillaient avec des machines modernes, mais il fallait toujours faire venir de loin les techniciens et les ouvriers capables de remettre en marche ou de moderniser un vieux haut-fourneau ou une mine fondés sur des technologies séculaires.

Après le Compromis, l’économie de la Transylvanie profita également des avantages qui découlaient du rythme de développement plus élevé de la Hongrie par rapport au restant du Centre-Est européen. Le pays augmentait le volume du capital importé et put ainsi construire son réseau bancaire et ferroviaire et développer certaines branches industrielles ou en fonder de nouvelles. Bien entendu, nous y trouvons, dès le début, le capital national (et même le modeste capital transylvain). Après 1900, et surtout au début des années 1910, les réserves intérieures de la Transylvanie jouèrent un rôle croissant dans le progrès de l’économie, et de l’industrie en particulier.

Le retard ne pouvait être diminué ou rattrapé que par la voie de l’intégration d’un type nouveau qui pouvait conduire à la formation d’un marché national. La création d’un système moderne de transports était le préalable de toute transformation de l’agriculture et de l’industrialisation.

La construction du réseau des communications

La modernisation des routes de Transylvanie, région entourée de hautes montagnes et ayant une surface fort accidentée, avait commencé au cours des années 1850. Conformément aux intérêts militaires et économiques de l’Empire, {f-537.} on construisit des routes importantes appelées «Reichstrasse», dans des directions déterminées, rendant praticables ainsi les voies qui, auparavant, selon les contemporains, ne méritaient pas le nom de routes. En 1860, il y avait déjà 230 lieues de routes bien aménagées en Transylvanie.

Une deuxième période de la modernisation commençait en 1890. Si bien qu’à la fin du siècle, il y avait déjà 753 km de route à revêtement de pierre et 1250 km de routes nationales plus modestes, la majorité des 4 204 km de voies publiques étant en bon état. Ce fut la remise en état des routes provinciales effectuées à l’aide de moyens locaux qui prit le plus de temps. A la fin de cette période, plus de la moitié des 7 126 km de ces routes n’étaient encore nullement aménagées …

En 1853, on commença à installer le télégraphe. En quelques années, le réseau télégraphique s’élargit et fit sentir son effet bénéfique tant dans la vie économique que dans les relations privées. En 1914, 558 stations télégraphiques fonctionnaient en Transylvanie. (A la fin du siècle, on commençait à installer aussi des lignes téléphoniques. Au début des années quatre-vingt dix, il y avait déjà, dans plusieurs comitats, des réseaux de téléphones publics au service de la population. Il y avait un central téléphonique à Kolozsvár, Brassó, Szeben et Marosvásárhely et, en 1910, on entreprit même leur reconstruction. En 1914, 6 525 postes téléphoniques étaient en fonctionnement, ce qui était au-dessus de la moyenne nationale).

La construction des chemins de fer en Transylvanie démarra après le Compromis. Il est vrai que, dès 1848, on avait commencé à étudier le parcours Nagyvárad-Kolozsvár, puis des discussions s’ensuivirent pendant plus de dix ans pour décider si on allait d’abord construire la ligne Arad–Gyulafehérvár–Nagyszeben, ou plutôt celle de Nagyszeben–Kolozsvár–Brassó, déterminant ainsi pour longtemps l’axe principal des communications. Les représentants des propriétaires hongrois et ceux des habitants de Brassó – la ville économiquement la plus développée – étaient favorables à la construction de la ligne Kolozsvár-Brassó, tandis que les bourgeois de Nagyszeben – économiquement bien plus faibles mais qui, en politique, avaient davantage d’influence – étaient, de manière compréhensible, favorables à la ligne venant d’Arad.

Finalement, la société financée par les Rotschild, le Premier Chemin de Fer de Transylvanie, ouvrit son chantier en 1867, et en décembre 1868, la ligne Arad-Gyulafehérvár était déjà terminée.

La Société Ferroviaire de l’Est, avec l’aide des frères Waring d’Angleterre et de la Banque Anglo-Autrichienne, commença, en 1868, la construction de la ligne de Kolozsvár. La ligne Nagyvárad-Kolozsvár fut inaugurée en 1870 et on continua la construction du chemin de fer qui traversait la Transylvanie. En 1871, celui-ci atteignit Marosvásárhely, en 1873 Brassó. Construite par plus de 20 000 ouvriers, cette ligne, une fois terminée, comptait 633 km. Elle tirait la Transylvanie de son isolement, la rattachait aux villes les plus importantes, et apportait sur les marchés de la Monarchie les céréales du Mezõség, le sel de Torda, Parajd et Marosújvár. La ligne de la Société Ferroviaire de l’Est rejoignait, à Tövis, celle du Premier Chemin de Fer de Transylvanie qui, à partir de 1870, transporta le charbon de la vallée du Zsil et le fer de Vajdahunyad sur le marché national.

L’Etat acheta, en 1876, la Société Ferroviaire de l’Est. En 1884, le Premier Chemin de Fer de Transylvanie fut également nationalisé et ainsi le réseau principal des chemins de fer transylvains était devenu propriété de MÁV {f-538.} (Chemins de Fer de l’Etat Hongrois). En 1879, deux raccordements furent construits vers la Roumanie, un troisième en 1895

Le réseau de chemins de fer constitua un des maillons les plus considérables de la modernisation de la Transylvanie. D’importants résultats techniques furent appliqués afin de surmonter les difficultés d’un terrain accidenté, dans la construction de ponts, de viaducs et de tunnels ainsi que dans la lutte continuelle contre les glissements de terrain et les infiltrations d’eau. Un réseau de lignes avait été construit qui, sous plusieurs aspects, allait déterminer l’avenir de l’économie de cette partie du pays en pleine refonte. Au moment où éclatera la Première guerre mondiale, les 2384 km de chemins de fer de la Transylvanie constitueront 11% des lignes hongroises. Pour 100 km2, il y avait 6,7 km, pour 1 000 habitants 1,02 km de chemins de fer, ce qui restait en-dessous de la moyenne nationale, mais qui était plus élevé que celle des pays de l’Europe de l’Est.

Le rôle économique de l’Etat

Cette période de plus d’un demi-siècle était dominée par une politique économique libérale qui, jusqu’aux années 1880, considérait le système économique du libre-échange et de la concurrence comme étant le plus approprié au développement de la Transylvanie en communauté d’intérêts avec la Hongrie. On favorisait le progrès de la production capitaliste non par des interventions directes, mais en s’efforçant d’éliminer les obstacles intérieurs et extérieurs.

Il y eut cependant, de temps à autre, des ruptures entre la pratique et la théorie de la politique économique. L’absolutisme supprima, en 1850, les frontières douanières séculaires de l’Empire qui séparaient la Hongrie (et la Transylvanie) de l’Autriche, et le gouvernement central établit, en 1854, des tarifs douaniers protectionnistes afin de soutenir en premier lieu les intérêts industriels des provinces austro-tchèques, tarifs que les économistes de l’époque trouvaient mesquins, désavantageux tant pour l’industrie hongroise que pour l’agriculture en général. Mais le problème essentiel résidait dans le fait que le gouvernement était instable et que le capital autrichien n’était pas assez important pour satisfaire à la demande de crédits des provinces de l’Est, tandis que le régime absolutiste ne pouvait donner de garanties politiques suffisantes pour permettre un afflux plus important de capitaux occidentaux.

Après 1867, un tournant intervint dans le développement économique de la Transylvanie. Exploitant les possibilités, devenues meilleures dans une Monarchie en train de se consolider à la suite du Compromis, le gouvernement hongrois autonome adopta une politique économique qui tenait compte des intérêts propres du pays. L’introduction d’un constitutionnalisme libéral créa les garanties politico-idéologiques pour un afflux massif de capitaux étrangers. L’Etat développa son réseau ferroviaire, pour une bonne part, par ses propres moyens; favorisa la mise en place d’un système moderne de crédit, l’enseignement professionnel, la constitution de fermes modèles et joua ainsi un rôle important en tant qu’entrepreneur; sa législation réglementa dans le détail les rapports de production capitaliste.

Unifiées économiquement par l’absolutisme et politiquement par le Compromis, la Hongrie et la Transylvanie purent désormais lutter, sous la direction du gouvernement de Pest, contre la prépondérance industrielle du centre occidental de la Monarchie. Il s’agissait en fait d’un pays ayant deux structures économiques divergentes, mais constituant une entité douanière, qui devint {f-539.} source de nombreux conflits tant entre les milieux dirigeants de Hongrie et d’Autriche que dans les relations commerciales entre la Monarchie et ses voisins. La politique douanière commune de l’Autriche-Hongrie était due à une série de compromissions qui, comme le montrent les relations économiques avec la Roumanie, touchaient de près la Transylvanie.

Les produits industriels de l’Empire, tout comme les commerçants et industriels transylvains, trouvaient depuis longtemps des débouchés favorables dans les Principautés roumaines d’où, en contrepartie, arrivaient des produits alimentaires et des matières premières agricoles, ces dernières principalement destinées à l’artisanat du Sud de la Transylvanie. Mais, à partir des années 1850, l’artisanat traditionnel transylvain dut affronter la concurrence grandissante des produits dit «de remplacement» de l’industrie austro-tchèque, l’invasion des produits français et anglais transportés à bon marché par mer au-delà des Carpates. Pour la première fois, l’industrie et le commerce transylvains tentèrent de trouver une issue à une crise que durait depuis longtemps, en exportant massivement. On essayait d’amener les pouvoirs publics à assurer à la Transylvanie un statut d’exception. A cette demande pressante, le ministre du Commerce s’efforça, dès 1869, de conclure un accord avec la Roumanie.

En 1875, première parmi les grandes puissances, la Monarchie devança la reconnaissance internationale de la Roumanie, formellement toujours placée sous la tutelle turque, et signa avec celle-ci un accord de libre-échange pour dix ans. En contrepartie de ce précieux geste politique, la Roumanie dut faire des concessions économiques. Son blé put être importé en franchise sur le marché de la Monarchie, mais le bétail fut taxé en fonction de la douane que l’Allemagne appliquait sur l’importation des animaux d’Autriche-Hongrie. Bucarest dut abandonner une partie de ses mesures protégeant l’industrie et laisser pénétrer pratiquement librement les produits industriels de la Monarchie.

En cinq ans, les exportations de la Monarchie triplèrent, mais les importations roumaines qu’on prévoyait fortement augmentant, stagnaient. C’est que l’Allemagne ferma bientôt ses frontières aux bestiaux en provenance d’Autriche-Hongrie, laquelle, à son tour, prétextant des mesures sanitaires, établit des restrictions, dès 1877, aux importations roumaines et russes. A partir de 1882, l’importation de bovins cessa totalement, celle d’ovins et de porcins devint intermittente. Lorsque l’accord expira, la Roumanie mit un terme aux faveurs accordées aux produits austro-hongrois et, en réponse, la Monarchie instaura une «taxe douanière de réplique» (30%) sur les importations roumaines.

La guerre douanière, qui dura de 1886 à 1893, réduisit les importations roumaines à presque rien. Mais la Monarchie dut elle aussi en payer le prix ses exportations vers la Roumanie chutèrent et elle perdit sa position de monopole. Les fabriquants de produits industriels transylvains, d’un niveau d’usinage relativement bas et surtout destinés à l’utilisation populaire (outre la quantité de produits de bois, les textiles, les cuirs, les poteries, la verrerie) furent les plus touchés par les changements. «Nous savions que tôt ou tard nos produits industriels en seraient totalement évincés mais l’échec de l’accord commercial avec la Roumanie fit que le coup nous a frappés plus vite que nous ne le pensions», se plaignit l’association d’industriels de Kézdivásárhely.*Adresse du 15 juin 1886. OL Földmûvelés-, Ipar és Kereskedelemügyi Minisztérium iratai (Actes du ministère de l’Agriculture, de l’Industrie et du Commerce), 1886, vol. 38, 32 255.

{f-540.} La Société Economique Transylvaine, lors de son congrès de 1886, élabora un programme (saxon-hongrois) pour surmonter ces difficultés, programme qui exigea des commandes d’Etat et des facilitations, ainsi que le développement des coopératives et l’extension du réseau ferroviaire. Le gouvernement consentit de fournir une aide en passant des commandes aux entreprises et artisans des régions frontalières. On chercha de nouveaux marchés en Bulgarie et aussi à l’intérieur de la Monarchie: en Bukovine. Des tarifs de faveur, des réductions d’impôts vinrent compléter ces mesures.

En 1893, un nouvel accord commercial rétablit les relations; l’industrie autrichienne reprit partiellement sa position en Roumanie et, avec elle, quelques moyennes entreprises textiles saxonnes du Sud de la Transylvanie qui proposèrent des marchandises de qualité. Par contre, l’artisanat et l’industrie domestiques ne purent profiter de la reprise; certaines branches disparurent. L’Etat soutenait l’industrie, à partir de 1880, en accordant des avantages fiscaux et des crédits gratuits. Puis, il donna de plus en plus sa préférence aux subventions. A partir de 1907, le gouvernement pouvait réellement investir des sommes importantes dans le développement de l’industrie et des entreprises et petites fabriques de Transylvanie, sans distinction de nationalités (surtout dans la région de Brassó).

Malgré ses moyens limités, l’Etat joua un rôle important dans le développement de la production agricole de Transylvanie. Outre les effets plus spectaculaires d’une politique agricole, il faut mentionner la création de fermes modèles et de colonies d’élevages, la sélection des espèces et l’enseignement spécialisé se développant à partir de la fin du siècle. Les hommes politiques, qui étaient souvent des grands propriétaires voulant assurer des revenus agricoles plus importants, réservèrent le marché de la Monarchie, grâce à des mesures douanières protectionnistes, pour les producteurs de l’Etat hongrois et partiellement de Galicie. Après 1906, au lieu d’une baisse des prix agricoles due aux effets du marché mondial, on assista à leur augmentation d’environ 30%, suite aux tarifs douaniers du monopole agricole. L’agriculture transylvaine, en raison justement de son très faible développement, en tira la possibilité de produire et de progresser économiquement: pour les Saxons, plus expérimentés et se trouvant dans une meilleure position de départ, cela permit d’atteindre le niveau de développement le plus élevé, celui de la Transdanubie et, pour les couches larges de la paysannerie hongroise et roumaine, d’accéder, en regard des autres habitants de l’Europe orientale, à des conditions de vie stables.

Les mesures sociales de l’Etat en faveur de la paysannerie visaient d’abord la réduction de la misère dans certaines régions en procédant à des remises importantes d’impôts et à l’attribution de petits subsides dans le cadre du libéralisme économique. La première action notable fut le redressement de la situation économique de 44 communes de la région de Naszód (villages roumains d’anciens gardes-frontières) par des moyens déployés au niveau gouvernemental. A partir de 1890, l’Etat y exploita industriellement, par l’intermédiaire d’une administration forestière créée à cet effet, des forêts sur plus de deux cent mille acres qui avaient été auparavant biens des communes; il construisit des voies ferrées, il établit des bergeries et étables modèles, il libéra les communes des dettes fiscales accumulées. La gestion était contrôlée par des représentants des villages, le revenu net annuel, montant à plus de cent mille couronnes, était affecté pour les besoins des communes, en partie culturels; dans le même temps, elles utilisaient à leur gré les quelques soixante mille acres qui restaient. L’action réussit à raviver la population roumaine de {f-541.} la région de Naszód (il en fut de même à Karánsebes, à l’extrémité sud du Banat).

L’Etat était loin de pouvoir résoudre le problème le plus grave à l’époque, celui des Sicules. Dans la région sicule, l’affranchissement des serfs, la dissolution des organisations de gardes-frontières avaient gonflé les rangs des sans terre, la réduction des terres collectives avait mis des limites à l’élevage et à l’exploitation forestière par les pauvres à une époque où les perspectives d’un nouvel équilibre n’avait pu encore se présenter. Les effets négatifs du développement capitaliste s’y trouvèrent concentrés. Ainsi, la concurrence des produits industriels, après la construction des principales voies ferrées mit l’artisanat dans la gêne. La guerre douanière, qui commença en 1886, accéléra ce processus: en détruisant de petites existences, elle provoqua la transformation du mode de vie.

L’exode, l’embauche en Roumanie, l’établissement définitif là-bas attirèrent l’attention de l’opinion hongroise de l’époque sur les problèmes des Sicules. A la fin du siècle, on tenta de les attirer, comme cochers, valets de fermes et servantes, vers l’intérieur du pays. Afin de soutenir modestement leur industrie domestique et artisanale et de leur procurer une formation professionelle, le ministère du Commerce lança son «action industrielle sicule».

Le Congrès Sicule de Tusnád, en 1902, tenu en commun par le gouvernement et l’opposition, déclara que l’Etat devait intervenir pour surmonter les maux. La même année, une action destinée à favoriser le développement des quatre comitats sicules fut lancée. Avec le concours du ministère de l’Agriculture, plus de cent cercles d’agriculteurs furent fondés, et on leur organisa des cours. A partir de 1905, on leur fit visiter en stage des écoles d’agriculture, des fermes saxonnes, des maraîchers de Kecskemét, des colonies d’élevage. Pour leur apporter des connaissances nécessaires, on introduisit l’enseignement des industries domestiques, la bibliothèque populaire, les conseils juridiques gratuits. Ce fut l’élevage des animaux de reproduction, l’amélioration des pâturages qui donnèrent les meilleurs résultats, car les conditions en étaient généralement réunies.

A la demande de plusieurs comitats, «l’action sicule» fut progressivement étendue. Elle n’apporta nulle part de résultats spectaculaires mais, à long terme, elle favorisa le développement, du fait qu’elle suppléait aux organisations que la société ne pouvait pas produire par elle-même.

La transformation de l’agriculture

Les forêts et les pâturages dominaient le paysage transylvain, mais le gage du développement des structures de l’agriculture fut la culture végétale dans les vallées.

Dans les trente années qui suivirent 1848, les liens d’interdépendance féodale des exploitations seigneuriales et paysannes disparurent en partie ou se transformèrent. Mais le changement, dans un premier temps, eut plutôt tendance à ajouter aux anciens maux de l’agriculture de nouvelles difficultés et ne résolut rien. «Dans le monde d’aujourd’hui, le peuple des laboureurs et semeurs ne tient que sur une jambe; l’autre est estropiée, notre agriculture est malade», écrivait, en 1865, un homme politique libéral.*[DOMOKOS TELEKI], Siebenbürgen und die österreichische Regierung in den letzten vier Jahren 1860-1864, Leipzig, 1865, 141. L’introduction, après {f-542.} 1850, d’un système fiscal moderne ne stimula pas la production mais l’appauvrit plutôt puisque l’impôt transylvain per capita était plus élevé qu’en Transdanubie, région pourtant bien plus développée. Au début des années soixante, 12 millions étaient versés par les «propriétaires fonciers» sous forme d’impôts directs et indirects, sur la base d’un revenu agricole évalué à 13 à 15 millions de florins.

Les observateurs contemporains constatèrent que le citoyen, même économe, ne supportait pas le poids fiscal, et ils se demandèrent à quel moment les contribuables de Transylvanie deviendraient insolvables.

La caratéristique de cette période transitoire est que l’ancienne propriété seigneuriale savait rarement produire des céréales avec rentabilité puisque, selon les contemporains, les coûts de la production sur les terres arables avaient quadruplés par rapport aux années antérieures à 1848. L’agriculture paysanne, avec ses instruments, ses animaux, son surplus d’efforts éclipsa longtemps, sur le marché, les propriétés seigneuriales.

Sur les terres seigneuriales, en raison de la pénurie de main-d’śuvre, de matériel et de crédits, le travail du paysan fourni contre l’utilisation de la terre, des pâturages, de la forêt ou à titre partiaire fonctionnait comme des pis aller. Au début des années soixante-dix, sous l’effet de l’amélioration soudaine des rapports prix-crédits, la mécanisation des grandes propriétés débuta et se poursuivit, avec quelques arrêts, durant toute la période, contrebalançant le fait que la majorité du cheptel resta dans les propriétés paysannes.

Ces dernières constituaient les deux tiers des terres labourables et produisaient du maïs et du blé selon la technique modernisée de l’assolement triennal (biennal dans les régions montagneuses). Dans les années soixante, les instruments commencèrent, dans les propriétés paysannes, à évoluer. La charrue en fer, fort rare encore en 1872, se répandit largement à partir de la fin du siècle. Certains sols des régions montagneuses, en revanche, contraignirent les agriculteurs à revenir à l’ancienne charrue. Dans les régions saxonnes où l’extension des plantes sarclées exigeait une culture en raies, les semoirs gagnèrent du terrain. Les paradoxes du développement voulurent que la mécanisation de la moisson commença dix ans avant la diffusion de la faux.

En définitive, à la fin du siècle, les techniques agricoles héritées des siècles précédents avaient reculé et l’arsenal des instruments avait fondamentalement changé, encore que beaucoup d’éléments d’ancien équipement continuassent à être utilisés. L’évolution des instruments, l’apparition de races bovines occidentales, les effets du marché accélérèrent la décomposition du système des jachères.

La liquidation de l’assolement ou l’amélioration de l’assolement triennal, le remembrement, au moins partiel, apportèrent, dans l’agriculture, un développement de portée historique. Si, dans les années 1850, 40% des terres labourables étaient en jachère, elles étaient 20% en 1910; les terres labourées s’étendirent, entre 1857 et 1910, de 2 163 067 acres à 2 741 642.

Dans les années 1840, le maïs étaït cultivé sur une superficie deux fois plus grande que celle du blé. Venaient ensuite dans l’ordre: l’avoine, le seigle et l’orge. Le maïs à fort rendement (ainsi que les légumineuses, promues article commercial) étaient principalement semés par les paysans roumains, le seigle par les Saxons, autour de Brassó, tandis que l’avoine l’était partout car c’était cette céréale qui poussait le mieux sous les cieux transylvains. A la fin du siècle, les surfaces ensemencées de blé et de maïs étaient déjà presque en équilibre. Dans les comitats céréaliers, le blé était semé dans une proportion identique à celle de la moyenne hongroise, mais le blé de printemps, d’une {f-543.} qualité plus faible et d’un rendement plus bas tenait ici une place singulièrement grande. En années à bonne récolte, la Transylvanie couvrait ses besoins en blé, mais dans les années moyennes, il était nécessaire d’en importer soit de la Roumanie, soit de la Plaine hongroise – dans la deuxième moitié de l’époque qui nous occupe, exclusivement de la Plaine hongroise. Du maïs, on en achetait de temps à autre hors des frontières.

Parmi les plantes industrielles, le chanvre et le lin occupaient depuis longtemps une place importante dans l’industrie domestique paysanne en tant que matière première pour l’habillement. La culture de la betterave à sucre prit, à la suite de la construction de deux grandes sucreries, de l’importance à la fin du siècle. Bien qu’elle n’occupât alors que 0,42% des emblavures de la Transylvanie, ses récoltes montraient un rendement élevé, particulièrement dans le comitat de Brassó.

Dans la sphère d’attraction des plus grandes villes, il s’était déjà constitué des zones maraîchères telles que le Hóstát à Kolozsvár (quartier dont le nom vient de l’allemand Hochstadt) ou les villages d’Aranyosszék qui ravitaillaient Torda et la Terre des Motz (Moţi = Roumains des Monts métalliques).

Dans les environs de Marosvásárhely, on produisit, sur les alluvions du Nyárád, de la betterave, du persil, des oignons, des pastèques.

Certains produits avaient un rendement plus élevé en Transylvanie qu’en Hongrie, tels le chou et la pomme de terre, et ce grâce aux traditions de culture.

La viticulture occupait déjà, aux alentours de 1848, environ 0,5% des terres productives et englobait de vieilles régions vinicoles telles les rives du Küküllõ, ou les régions de Gyulafehérvár et de Nagyenyed.

A partir des années quatre-vingt, ces régions connurent elles aussi la réduction des surfaces vinicoles. En 1889, le phylloxéra attaqua dix mille des trente huit mille acres (chiffre qui a déjà diminué) puis, au cours des années suivantes, il balaya toutes les menues cultures locales. L’Etat apporta un soutien par des remises fiscales, par la distribution de sulfate de cuivre, et de plants bon marché pour le renouvellement des vignes.

La prune constituait les deux tiers de la production de fruits de Transylvanie. C’est dans les dernières décennies du siècle que s’opéra une plus large diffusion des fruits. Les statistiques recensent onze millions d’arbres fruitiers à la fin du siècle; les débouchés augmentent et les pommes de Transylvanie arrivent sur le marché des pommes à cidre de Stuttgart où, d’ailleurs, les fruits hongrois représentaient 30% de l’offre.

Les conditions naturelles d’exploitation forestière étaient favorables. Les forêts constituaient plus de la moitié des terres productives, soit 3,5 millions d’acres. Après l’affranchissement des serfs, l’ex-noblesse terrienne profita des forêts dans une plus grande proportion que des terres labourables; la moitié des forêts restaient cependant entre les mains de la paysannerie, sous forme de biens communaux ou de propriétés publiques et constituaient pour elle une ressource importante. Il nous est difficile d’insérer les biens forestiers des communes (1,2 millions d’acres) et les autres propriétés forestières collectives dans le système de l’économie paysanne. Leur importance se signale par le fait que 210 000 bovins et 300 000 ovins paissaient dans les forêts communes à la fin du siècle.

Dans les propriétés domaniales, une gestion plus moderne avait déjà auparavant remplacé le simple déboisement. Les lois forestières de 1858, et plus particulièrement celles de 1879 et 1898, posèrent les premiers jalons d’un contrôle par l’Etat de la gestion forestière qui exigeait savoir et patience. A la {f-544.} fin du siècle, c’était l’Etat qui gérait aussi les forêts des comitats et des communes.

A cette époque, des sociétés disposant d’importants capitaux introduisirent l’exploitation extensive de la forêt. Le commerce du bois devint une affaire gigantesque. De telles entreprises purent influencer le sort de la paysannerie de régions entières puisque, dans les sièges sicules, par exemple, la moitié de la population, sous une forme ou une autre, vivait de la forêt. En dépit de l’expansion des entreprises géantes, beaucoup de propriétés forestières communales subsistèrent et les petites scieries hydrauliques paysannes continuèrent de fonctionner. Cela constitua une partie des fondements d’une industrie populaire du bois qui allait de la cuillère en bois aux poutres en passant par les bardeaux et les tonneaux pour lesquels la Transylvanie, durant toute la période qui nous occupe, fut connue dans l’ensemble de l’Empire.

Quant à l’élevage, la Transylvanie comptait pour un des territoires pourvus des dispositions les plus favorables. Vu les similitudes de relief et le chiffre élevé du cheptel, les contemporains espéraient faire de la région une Suisse orientale. A la fin du siècle, les pâturages communaux ou collectifs atteignaient près de 780 000 acres, soit 56% de l’ensemble des pâturages.

Durant les siècles, l’activité pastorale avait été prépondérante dans l’économie de la province. Dans la division du travail au sein de la Monarchie des Habsbourg, ses habitants, et plus particulièrement les Roumains du Sud de la Transylvanie, remplissaient par excellence le rôle d’éleveurs.

La vie pastorale roumaine traditionnelle avait modelé l’aspect de villages tels que Resinar ou Szelistye, dans la région de Szeben qui constituaient également les sources de recrutement de l’intelligentsia roumaine.

La forme particulière de l’élevage ancien, la transhumance, spécialité transylvaine, perdit de son importance. Avant 1848, un bon million d’ovins, un peu moins de bovins et de chevaux étaient conduits sur les routes des montagnes au-delà des Carpates, dans la région du Bas-Danube, pour hiverner. Mais, dès les années 1850, le nombre du cheptel ovin transhumant baissa au-dessus d’un demi-million, tandis que celui des bergers transhumants passa de 20-25 000 à 10 000 en 1879, beaucoup d’entre eux s’étant installés en Dobroudja roumaine. Pourtant, en raison des besoins en laine, viande et produits laitiers, l’élevage conserva longtemps cette forme archaïque en tant que partie complémentaire de l’économie de marché.

Dans la tendance nationale qui se caractérisa, à partir de 1860, par une diminution du cheptel ovin, la Translyvanie occupa une place particulière. Pendant un certain temps, le chiffre tomba ici aussi puis, au début du siècle, suivit une forte augmentation. Les petites et très petites exploitations élevaient plus de 90% du cheptel ovin.

Parallèlement à la disparition de l’agriculture traditionnelle, aux défrichements des anciens pâturages communs et à la diminution des jachères, l’élevage bovin extensif recula. En retard par rapport aux régions occidentales ou centrales du pays, la transformation du cheptel bovin intervint également en Transylvanie.

Carte 22. L’économie à l’est de la Tisza à la fin XIX

Carte 22. L’économie à l’est de la Tisza à la fin XIXe siècle et au début du XXe siècle

Au milieu des années cinquante, le prix des bovins augmenta, puis se stabilisa (après une chute intervenue dans les années quatre-vingts). Les premiers trains transylvains transportèrent beaucoup de bovins et de porcins vers Pest mais la diminution numérique du cheptel était sensible dès 1868. La nouvelle tendance du développement apporta le changement des races lancé par l’Association Economique Saxonne, avec le soutien de l’Etat, dès les années soixante-dix. La période de croissance des animaux amenés d’Autriche {f-545.} ou de Suisse était beaucoup plus courte, le poids vivant plus élevé, la production laitière souvent supérieure de 1 000 litres par rapport aux races transylvaines. L’acclimatation des nouvelles espèces resta inférieure à la moyenne nationale car la Transylvanie s’était spécialisée dans les bêtes de trait, et ses bśufs n’étaient pas seulement de bons animaux de transport, mais ils étaient aussi dix fois plus résistants aux maladies que les espèces occidentales. Les comitats de la Terre sicule, Nagy- et Kis-Küküllõ et Alsó-Fehér furent déclarés, par le ministère de l’Agriculture, zone de conservation de l’espèce transylvaine, et des mesures furent prises afin d’améliorer ces espèces.

L’élevage des bovins en Transylvanie connut une modernisation due à la recherche de nouveaux marchés ainsi qu’à des initiatives officielles, modernisation qui maintenait cependant la variété des espèces (conservant par ex. le buffle). A la fin de l’époque, cette région passait pour avoir une faible densité de bétail, mais les paysans possédaient davantage de bovins que la moyenne nationale (dans le Fogaras, il y avait 678,2 animaux pour 1 000 habitants, chiffre qui tenait la comparaison avec les données européennes les plus favorables).

Dans la formation du cheptel chevalin, les points de vue purement économiques étaient moins dominants puisque les chevaux étaient élevés dans les grandes et moyennes propriétés pour répondre aux obligations de prestige; d’autre part, les achats de l’armée ne dépendaient pas de la conjoncture. Avec l’apparition des chemins de fer, le besoin en attelages augmenta même, pour cesser après la fin du siècle. Le haras de Kolozstorda, destiné à conserver les races de Transylvanie, ainsi que le haras national de Fogaras fondé après le Compromis et spécialisé dans l’élevage des lipizzans, jouèrent un rôle de premier plan dans l’amélioration du cheptel chevalin.

La répartition territoriale du bétail ne montre pas de particularités marquantes. Les Saxons élevaient les plus grandes quantités de bovins, de porcins et de chevaux, et l’élevage des ovins restait quasiment le monopole des Roumains. Les régions roumaines avaient davantage de bestiaux que les régions hongroises et leurs vaches donnaient davantage de lait, alors que le poids moyen des bovins des régions hongroises était plus élevé. Les paysans détenaient, en 1885, plus de 80% des animaux, proportion qui ne changera pas par la suite. Comparées à celles de la Transdanubie, les grandes propriétés possédaient ici trois fois moins de bovins et les moyennes propriétés deux fois moins; par contre, pour les exploitations d’une superficie de 5 à 20 acres, la moyenne de la Transylvanie était supérieure à celle de Transdanubie. Par ailleurs, les animaux des grandes propriétés pouvaient être en général vendus 30% plus chers, ce qui révèle la meilleure position des grandes exploitations en ce qui concerne la recherche des débouchés. Si les grands propriétaires avaient des mérites dans cette branche, cela consistait dans l’amélioration des races, tandis que les paysans entretenaient sur leurs pâturages restreints presque la totalité du cheptel de Transylvanie.

Modernisation des mines et de l’industrie

Ce sont les impératifs de l’aire douanière commune établie en 1850 pour la monarchie des Habsbourg, la pauvreté relative en capitaux de l’ensemble de la Hongrie et le faible niveau d’accumulation des capitaux locaux qui déterminaient le développement de l’industrie transylvaine. L’essor était fonction de l’afflux des capitaux et des investissements de l’Etat, mais les fondements {f-546.} étaient en général jetés par des entreprises locales anciennes ou nouvelles. Les mines, l’extraction des matières premières constituaient la base de l’économie de cette partie du pays.

Pendant longtemps, la Transylvanie avait donné environ la moitié de la production de sel de l’Empire et, avec les mines de sel de Máramaros, cela constituait d’importantes sources de revenus pour le Trésor. Après 1867, les mines de Marosújvár furent modernisées les premières en vue du traitement chimique des déchets salins.

Les mines d’or avaient perdu de leur éclat d’antan, bien qu’après 1850, la Transylvanie ait fourni encore les deux tiers de l’or de l’Empire. Dans cette région aurifère, la plus riche d’Europe, aussi bien le Trésor que des aristocrates, bourgeois et paysans possédaient des mines ou des actions. La mine la plus importante des compagnies de propriétaires fonciers était les «Douze Apôtres» qui, en 1864, avec 400 ouvriers produisait annuellement 46,3 kg d’or. Les mines du Trésor fournissaient un tiers de la production d’or nationale. Dans les années 80, la mine d’Orla employait 400 mineurs, celle de Nagyág 800. Dans cette décennie, l’intérêt du capital occidental pour la Transylvanie s’accrut, et on commença la modernisation des mines privées qui, dans leur majorité, végétaient. De la Deutsche Bank au Crédit Lyonnais, les banques allemandes, anglaises, belges, françaises furent, par l’intermédiaire de diverses entreprises, intéressées dans la production. La mine des «Douze Apôtres», devenue propriété de la S. A. Harcorr de Gotha, construisit le plus grand établissement de traitement préparatoire de l’or du continent et cette firme fournit dès lors près de la moitié de la production hongroise d’or. Ce ne fut pas une fièvre de l’or, comme celle de la Californie, qui gagna la Transylvanie, mais les mines d’or se renouvelèrent toutes, de même que les usines du Trésor dans la région voisine de Nagybánya. Un personnel technique anglais et allemand fit son apparition et la mise en valeur s’effectua d’après les méthodes d’exploitation modernes. Des fours fonctionnant près de l’intendance centrale des mines, à Zalatna, fondaient la production brute des mines privées de très petites tailles (trente mille quintaux avant la Première Guerre mondiale) à partir de laquelle on frappait, à Körmöcbánya, la monnaie.

Face à la production d’or et d’un peu d’argent, les mines de cuivre restaient insignifiantes, quoiqu’à partir de 1858, plusieurs sociétés tentassent de les exploiter. Si elles n’y réussirent pas, la chute des prix des métaux y fut pour quelque chose et il en était de même pour l’extraction du plomb. A la fin du siècle, on commença à utiliser, dans l’industrie chimique, les divers composants des métaux et minerais non ferreux dans une plus grande proportion.

Les mines de charbon démarrèrent difficilement mais elles connurent par la suite un développement d’autant plus spectaculaire. Les chemins de fer qui venaient de l’Ouest apportèrent aussi le charbon des mines tchèques. De plus, dans le voisinage, la STEG (Société des Chemins de Fer Autrichiens, à participation française), développa considérablement les mines de charbon (et aussi la sidérurgie) du Banat. En 1860, elles atteignaient une production annuelle de cent mille tonnes de charbon. L’exploitation intensive de la vallée du Zsil, riche en charbon de qualité, commença après 1857, sous l’impulsion du Trésor et de la S. A. des Fonderies et Mines de Brassó. Dans les années 1880, sa production atteignait les deux cent mille tonnes annuelles. A la fin du siècle, la S. A. des Houillères de Salgótarján et celle des Houillères de Urikány-Zsilvölgy, à participation franco-hongroise, régnaient sur le bassin et elles élevèrent la production à un très haut niveau technique, avec 2,5 millions {f-547.} de tonnes en 1913. La plupart des ouvriers rompus à l’extraction minière vinrent de loin: Tchèques, Polonais, Allemands; d’importantes colonies de mineurs s’installèrent avec l’infrastructure habituelle. Les villages de Petrozsény et Lupény devinrent des villes puisqu’en 1911 près de quatorze mille personnes travaillaient dans leurs mines.

En dehors de la vallée du Zsil, il y avait des mines dans le Nord de la Transylvanie à Egeresfalva, dans un premier temps avec des capitaux transylvains puis hungaro-belge, à Keresztényfalva avec des entrepreneurs saxons et à Köpecbánya, en Terre sicule, à partir de 1872, avec une société anonyme fondée par des aristocrates. La sidérurgie était fondée pendant longtemps sur des hauts fourneaux petits, éparpillés et basés sur une technique fort ancienne. Les arrêts y étaient par trop nombreux: seules les fonderies du Trésor offraient une production uniforme. Une fois de plus, la modernisation commença dans la région voisine, à Resica et Bogsav, dans les usines de la STEG du Banat, qui, depuis 1862, devenaient le plus grand centre sidérurgique de la Hongrie. En Transylvanie, la S. A. des Fonderies et Mines de Brassó acheta, à partir de 1856, successivement tous les vieux hauts fourneaux, les modernisa et, en 1867, produisit avec eux autant de fonte brute que ceux du Trésor. En 1872, deux hauts fourneaux ultramodernes furent construits à Kalán par des ingénieurs belges. Cette firme, au développement prometteur, connut, à la fin du siècle, une crise financière et fut mise en liquidation pour réapparaître, en 1898, sous le nom de S. A. des Fonderies et Mines de Kalán avec des capitaux autrichiens, allemands et hongrois. En 1867, le Trésor possédait cinq hauts fourneaux de type ancien en Transylvanie. Pour des raisons d’économie, le parlement s’opposait à une modernisation dispendieuse et ce ne fut que plus tard que le Trésor y effectua des investissements majeurs. A Vajdahunyad, à partir de 1884, on construisit plusieurs fourneaux et, en 1895, y vit le jour le plus grand fourneau de Hongrie avec une production annuelle de quarante mille tonnes de fonte. Les établissements nationaux de Kudzsir d’affinage du fer et de la fonte ne furent modernisés qu’à partir des années 80. Au début du siècle, le Trésor et la S. A. de Kalán produisaient la presque totalité de la fonte de Transylvanie.

Les forges paysannes, comme celles de Torockó, dépérirent, mais l’usine privée de Szentkeresztbánya, de taille moyenne, se maintint en essayant de diversifier sa production. L’ingénieur Péter Rajka, qui fabriquait des machines et outils agricoles d’excellente qualité, vendit à un commerçant de Kolozsvár sa petite entreprise où, en 1874, la première machine à vapeur de fabrication transylvaine fut exécutée; mais il ne put jamais être question d’en faire une grande entreprise. A la fin du siècle, les ateliers Rieger, de Nagyszeben, se distinguaient parmi les entreprises moyennes. Il faut également mentionner les ateliers agrandis des Chemins de Fer d’Etat (MÁV) de Kolozsvár et Piskitelep. La branche des constructions mécaniques se développait plutôt dans le voisinage de la Transylvanie: la STEG s’était sérieusement implantée à Resica, c’était ici en 1872 qu’une locomotive fut pour la première fois fabriquée en Hongrie; à Arad, l’usine de wagons et machines Weitzer s’agrandit et en 1909, une usine automobile (MARTA) qui, pendant la guerre, fabriquera des moteurs d’avion, y fut installé.

L’industrie chimique connut un essor tardif en Hongrie. Dans le Banat et en Transylvanie, le raffinage du pétrole importé de Roumanie commença à la fin des années 1850 (celui du pétrole russe et galicien, à partir de la fin du siècle). On fabriquait de l’acide sulfurique à Brassó et à Zalatna; en 1894, on construisit, à Marosújvár puis à Torda, des soudières qui purent satisfaire les {f-548.} besoins de tout le pays. On découvrit du gaz naturel en Mezõség en 1909 et, comme on ne trouva pas d’investisseurs anglais ou américain, la S. A. Gaz naturel hongrois fut créée, en 1915, avec des capitaux allemands: Des gazoducs fonctionnaient déjà et, durant la guerre, on établit une usine chimique à Dicsõszentmárton afin de traiter le gaz naturel. En 1918, le nombre des puits s’élevait à 38.

L’industrie textile était née de façon naturelle des anciennes manufactures des villes saxonnes. Le marché roumain et local puis le soutien de l’Etat rendirent possible de fonder certaines draperies de renom (Scherg, Leonhardt) à Brassó et Nagyszeben. Quelques manufactures de coton furent construites.

L’industrie alimentaire joua un rôle remarquable dans l’accumulation des capitaux mais non pas à la même échelle que dans la Hongrie proprement dite. De grandes distilleries bordaient la Transylvanie sur une ligne allant de Temesvár à Nagyvárad mais des distilleries commerciales s’installèrent, dès 1849, à l’intérieur de la province. Le noble démuni Elek Sigmond fonda une usine à Kolozsvár en 1851, et celle du juif Jeremias Baruch, à Marosvásárhely, instroduisit, en 1874, la première machine à vapeur de fabrication transylvaine. Puis, de la distillerie, des entrepreneurs passèrent à la minoterie ainsi qu’à d’autres secteurs. En 1878, on trouvait 125 distilleries industrielles, les plus grandes traitant le maïs, principalement importé de Roumanie. A la fin du siècle, les deux grandes usines appartenaient aux familles saxonne Czell et hongroise Sigmond, mais les autres étaient loin d’atteindre l’importance des usines du Banat. Les distilleries s’occupaient également de l’engraissement des bovins et les animaux étaient transportés en grand nombre à l’intérieur du pays ou à Vienne. Les brasseries commencèrent à se développer dès la fin du siècle; conjointement au maintien des petites entreprises, celles de Torda et Marosvásárhely s’agrandirent avec une production annuelle de 120 000 hectolitres chacune.

Les grands moulins furent d’abord construits à Pest et sur les bords de la Plaine avec des capitaux accumulés dans le commerce. Alors qu’en 1863, dans les villes des comitats d’Arad, de Bihar et de Szatmár, 30 moulins à vapeur fonctionnaient, nous n’avons connaissance que de quatre en Transylvanie. Elek Sigmond construisit, en 1853, un grand moulin à Kolozsvár, Jeremias Baruch un autre à Marosvásárhely qui produisit plus tard du courant électrique pour l’éclairage public. Pendant longtemps encore, le nombre des moulins à eau augmenta: entre 1850 et 1890, on en construisit 1525 et, en 1895, parmi les 5 236 moulins, seuls 88 étaient à vapeur. A la fin du siècle, la modernisation s’accéléra. Entre 1881 et 1906, on construisit 109 moulins à vapeur, si bien qu’en 1906, la minoterie de Transylvanie avait une position d’avant-garde dans l’utilisation des moteurs à pression. Mais, bien entendu, les moulins à eau populaires, petits, fabriqués en bois subsistaient. A cette époque, dans le seul comitat de Hunyad, il en fonctionnait 1031.

L’ancienne industrie du sucre déclina après 1849. A la suite des avantages accordés par l’Etat vers la fin du siècle, la grande usine de Brassó-Botfalu, la S. A. Sucrerie Hongroise, vit le jour en 1889. En 1912, avec 1218 ouvriers, elle produisait 145 000 quintaux de sucre. Des aristocrates, à l’aide d’emprunts d’Etat et avec des actions placées chez les producteurs qui les remboursaient par des betteraves à sucre, fondèrent, en 1893, l’usine de Marosvásárhely. En 1912, avec ses 405 ouvriers, elle put produire 47 000 quintaux de sucre pour les exporter en Angleterre, en Italie et en Egypte.

Les autres branches de l’industrie alimentaire, sans compter les deux manufactures {f-549.} de tabac de l’Etat, se développèrent plutôt dans les villes saxonnes. Des fabriques de salami fonctionnaient à Nagyszeben, Brassó, Beszterce, Medgyes, Szentágota; à Dés et à Déva des conserveries. La plus grande laiterie fut établie en 1902 à Nagyszeben.

Nous terminerons par l’industrie du bois qui, malgré une production forestière abondante, ne devint jamais importante. Le bois arrivé par flottage sur le Maros était en grande partie travaillé à Szeged, mais on en transportait également en Roumanie. Les premiers grands consommateurs étaient les Chemins de fer puis, avant la guerre, les mines de Petrozsény, qui utilisaient annuellement, à elles seules, 100 000 mètres cubes de bois.

Des scieries fonctionnaient près de chaque grande exploitation forestière, mais il n’existait que quelques usines de meubles et d’objets en bois. Outre les scieries paysannes, une série de villages travaillaient le bois dans les vallées situées entre les hautes montagnes et fabriquaient des planches, des lattes et des bardeaux pour les marchés urbains. A Zetelaka, dans le Hargita, on faisait les meilleures poutres débitées à la main. A Bedecs, avec une technique pour ainsi dire domestique, des maisons en bois étaient confectionnées puis démontées et définitivement reconstruites dans le village qui les commandait. Après un incendie, au début du siècle, sur les prés de Bedecs, un grand nombre de maisons ou de dépendances se contruisaient et attendaient d’être transportées.

Presque toute l’industrie de la Transylvanie se caractérise par la dualité: à la fin du siècle, l’industrie capitaliste fait son apparition, souvent en implantant les techniques les plus modernes et, à ses côtés, subsiste, pour satisfaire des besoins réels, le réseau vaste de l’industrie populaire, des petits ateliers que l’on ne saurait guère appeler entreprises au sens capitaliste: ils travaillent avec des méthodes archaïques, et embrassent toutes les branches, de la mine d’or à l’industrie du bois, en passant par la production de charbon de bois.