3. Vie culturelle et sociétés nationales


Table des matières

La vie culturelle et intellectuelle demeure, dans la seconde moitié du XIXe siècle, marquée par l’hégémonie du nationalisme libéral. Certes, l’unité du libéralisme et du nationalisme avait été entamée en Transylvanie par la tourmente des conflits nationaux et de la guerre civile consécutifs à la révolution de 1848, ce qui devait provoquer des heurts violents entre les deux idéologies au niveau de la pratique politique. Néanmoins, leur unité sera sauvegardée, pendant de longues décennies encore, dans les mentalités. La vie spirituelle de ce demi-siècle était profondément marquée par la. génération qui avait participé, pour la plupart activement, aux événements de 1848-1849 – période déterminant tant l’histoire que ses acteurs.

A l’époque où s’épanouirent les sociétés nationales, le développement de la culture en langue maternelle et la propagation des produits intellectuels comptaient pour une tâche nationale primordiale. En Transylvanie, trinationale, dépositaire de trois patrimoines culturels bien différents où les ethnies s’interpénétraient sans frontières précises et où les équilibres étaient fragiles sur le plan des rapports numériques, de l’influence politique, de la force économique et du degré de développement, les intellectuels de chaque nation craignaient pour leur propre ethnie menacée par les visées d’assimilation linguistique ou la prépondérance culturelle de «l’autre nation». L’anxiété devant l’avenir de {f-550.} la nation, aussi bien que l’espoir de sa «promotion» incitaient les gens de l’époque à une action culturelle incessante.

L’autonomie culturelle de la Transylvanie avait cessé avant même que la législation de 1848, puis définitivement celle de 1867 eussent mis fin à son statut séparé. Dans le creuset d’une culture nationale globale, les cultures locales finissent par disparaître. A l’époque du néo-absolutisme et plus encore pendant le dualisme, ce processus perce à fond: la vie intellectuelle hongroise de Transylvanie se confond complètement avec celle de la métropole, tandis que celle des Roumains se rattache définitivement à celle de la nation roumaine transcarpatique. Bien entendu, le rythme de la convergence n’est pas le même chez les Hongrois et les Roumains, puisque déjà le développement des deux nations ne suivait pas la même cadence. Les conditions étaient différentes des deux côtés des Carpates qui constituaient une frontière politique depuis des siècles et, de surcroît, au XIXe siècle, le développement culturel de l’Etat roumain restait en arrière de celui de la Hongrie, ce qui favorisait la survie relativement longue de littératures régionales roumaines dans le Banat et le Bihar, alors que nous n’en connaissons pas l’équivalent dans les lettres hongroises. Tout au long de cette période, seuls les Saxons gardent une physionomie spirituelle vraiment autonome, locale, malgré leur communication permanente avec l’Allemagne et en dépit de la position de l’intelligentsia saxonne qui rattachait son passé à celui des Allemands et se considérait comme tête de pont de la culture germanique.

Ainsi, à l’époque donnée, une vie culturelle spécifiquement transylvaine ne peut être observée que du côté des Saxons; chez les Roumains beaucoup moins et chez les Hongrois, après 1867, pas du tout.

Les associations et leurs buts

A l’époque du néo-absolutisme l’activité spontanée de la société, strictement limitée, évolue dans le sillon de l’ère des réformes. Les trois nations créent leurs «sociétés» savantes et culturelles. Comme ces dernières cultivent et diffusent la science, elles remplissent, indirectement, une fonction politique de portée nationale.

Les Saxons avaient fondé dès 1840 le Verein für Siebenbürgische Landeskunde dont s’est détaché, au début de la période examinée, le Siebenbürgischer Verein für Naturwissenschaften. Ce dernier, tout comme la bibliothèque Bruckenthal et les lycées servent de cadre à une activité scientifique qui embrasse tout à partir de l’ethnographie, en passant par l’histoire jusqu’à l’étude de la faune et de la flore des Carpates et de leurs ressources minérales. Les futurs savants et chercheurs reçoivent tous leur formation de base dans des universités allemandes. Ils y assimilent la méthodologie qui leur permettra d’exceller dans tous les domaines, en particulier par la rigueur scientifique de leurs recherches. (Ces rapports toujours plus étroits avec l’Allemagne sont pour beaucoup dans le manque de rapports étroits entre le monde scientifique saxon et hongrois, à l’exception de rares relations personnelles.) Il serait plus que difficile de faire ici l’inventaire concis des résultats de la science soutenus et coordonnés par le Verein. Contentons-nous de citer une Geschichte der Siebenbürger Sachsen, éditée sous forme de cahiers à partir de 1852 par Georg Daniel Teutsch, la première histoire des Saxons puisée directement aux sources, ainsi que la série de sources historiques lancée à la fin du siècle sous {f-551.} le titre Urkundenbuch zur Geschichte der Deutschen in Siebenbürgen, considérée jusqu’à nos jours comme fondamentale. Parmi les sociétés culturelles qui se constituent en grand nombre, la plus notoire est le Karpaten-Verein, fondé en 1881, dont il convient de souligner les mérites en matière de tourisme et de protection de la nature.

Un trait particulier de la vie culturelle saxonne – qui s’observe jusqu’à nos jours – est que les professeurs dont le poids politique croît à cette époque au dépens des juristes, associent tous la recherche à l’enseignement. La société saxonne de l’époque paie un tribut d’admiration à tous ceux qui s’adonnent à l’écriture.

C’est un peu à l’instar de l’exemple saxon et en reprenant une vieille idée que naquît une institution nationale des Hongrois de Transylvanie: Erdélyi Múzeum (Musée Transylvain). Le comte Imre Mikó offre à cette fin un jardin de 10 acres (quelque 6 hectares) avec une villa à Kolozsvár; il rédige en personne les Statuts et fait les démarches à Vienne pour obtenir l’autorisation de la cour. La première assemblée générale de la Société du Musée Transylvain est tenue dès 1857, mais l’autorisation se fait attendre jusqu’en 1859. Mikó en est aussi le premier président. Il estime que «notre Société pourrait s’imposer comme école pratique de l’autonomie». Au moment de sa constitution, c’est une société savante purement hungarophone, qui réunit des pièces de collection, dont des antiquités, offertes par des aristocrates, des intellectuels et des bourgeois. Elle est financée de dons, la plus forte somme 10 000 florins étant offerte par le baron Samu Jósika, un homme politique conservateur. Copie réduite de l’Académie, cette société embrasse des disciplines allant de l’histoire aux sciences naturelles et finit par s’imposer comme la plus grande société savante de Transylvanie. Son immense collection d’antiquités et ses archives comprenant des milliers de chartes et de manuscrits – qui seront complétées plus tard d’une précieuse collection sur 1848 –, ainsi que sa section de sciences de la nature, offrent dès le début une bonne base au travail d’érudit. Ses annuaires rédigés par le polygraphe Sámuel Brassai, le périodique Erdélyi Múzeum paraissant sous diverses formes atteignent une diffusion appréciable.

Fonder et organiser une société comptent à cette époque pour un exploit politique, comme on l’a vu plus haut dans l’aperçu général du néo-absolutisme. Or, dans les conditions d’une vie publique plus libre de la décennie 60 et plus particulièrement après le Compromis austro-hongrois de 1867 et l’union de la Transylvanie avec la Hongrie, la Société perdra beaucoup de son caractère de symbole politique, tout en gardant son importance scientifique. En 1872, la fondation de l’Université de Kolozsvár marque un nouveau tournant: la Société donne, par contrat, ses collections à l’usage de l’Université et désormais les conservateurs des diverses collections seront les professeurs de la discipline en question. A partir de là, l’activité de la Société sera étroitement liée à celle de l’Université sans que la première renonce à son autonomie. Une refonte de ses activités n’aura lieu qu’au siècle suivant lorsque ses assemblées itinérantes et ses conférences de vulgarisation seront multipliées. Elle se distingue comme éditeur de maints travaux scientifiques de valeur.

La société culturelle hongroise la plus connue est fondée en 1885 sous le sigle d’EMKE (Erdélyi Magyar Közmûvelõdési Egyesület – Association Hongroise pour la Culture Publique de Transylvanie). Ténor, pendant longtemps, de la vie politique, nous en avons parlé dans le contexte de l’histoire politique.

{f-552.} Chez les Roumains, l’idée de mettre sur pied une académie ou une société pour la défense et le soin de la langue émerge dès 1852. La fondation de la société hongroise donne un coup de fouet à l’initiative et, en 1861 on voit se constituer à Nagyszeben l’ASTRA, Association transylvaine pour la littérature et la culture populaire roumaines (Asociatiunea transilvană pentru literatura română şi cultura poporului român). Tournée essentiellement vers l’histoire, la langue et la littérature, cette société s’intéresse aussi aux sciences de la nature. Mettant entre parenthèses les différences confessionnelles, elle rassemble des intellectuels qui, jusque là, avaient été plutôt rivaux; si elle a pour premier président le baron Şaguna, prélat orthodoxe, elle choisit comme secrétaire un homme sans engagement religieux, Bariţ. Dans les premières années de son existence, l’ASTRA accède à une importance transfrontière car, faute d’organisation semblable en Roumanie, elle fait figure, pendant un certain temps, d’Académie roumaine.

L’ASTRA, quoique soutenue par des intellectuels de Roumanie, était plus pauvre que la Société hongroise ou le Verein saxon. Il est à noter qu’elle fut lancée non seulement grâce aux oboles des prêtres et des bourgeois: il fallut faire appel au sacrifice des paysans; des communautés villageoises s’étaient engagées à livrer pendant cinq ans une certaine quantité de grains de maïs pour la soutenir. L’importance de l’ASTRA ne se décroîtra pas après le Compromis de 1867, car la lutte politique des Roumains de Transylvanie pour l’émancipation nationale se poursuit, conférant à l’ASTRA, malgré ses affaiblissements périodiques, un rôle important politique et culturel. Organisée, dans un premier temps, d’après le système des décanats, elle met, à partir de 1868, en place ses propres organes territoriaux et étend, après 1895, ses activités hors de la Transylvanie, aux régions du Bihar et du Banat. Connaissant un nouvel élan vers le tournant du siècle, l’Association édite la première encyclopédie roumaine dont les 38 000 entrées sont, pour la moitié, rédigées par des auteurs de Roumanie. En 1905 est construit à Nagyszeben le Musée ASTRA abritant bureau, bibliothèque et théâtre. L’Association publie des livres populaires, organise des cours aux paysans et crée à leur intention une bonne centaine de petites bibliothèques populaires. Ses grands meetings d’avant la Première Guerre sont de véritables démonstrations de masse. Alors que la Société du Musée Transylvain se distingue avant tout par son activité savante, l’importance de l’Association roumaine réside en premier lieu dans ses activités de culture populaire. Durant les deux dernières décennies de l’époque examinée, l’ASTRA fait figure de ministère roumain de la culture en Transylvanie.

En 1891 est créée à Bucarest la Liga Culturală avec l’attribution formelle de focaliser et de soutenir la vie culturelle des Roumains où qu’ils vivent. Or, comme elle ne s’y emploie guère, préférant une intense activité politique nationale, il est plus juste d’en parler dans la partie d’histoire politique du présent ouvrage.

Des rapports notables ne se sont pas établis entre les trois grandes sociétés nationales quoique chacune ait d’abord élu par politesse des membres d’honneur issus des deux autres nations et que les contacts se soient maintenus en permanence entre spécialistes sur le plan du travail. Cependant, les gens de l’époque sont entièrement occupés à mettre en place les institutions nationales et à bâtir leurs unités nationales respectives dans le cadre d’une «lutte nationale». Dans un tel climat, on sent moins le besoin d’établir des rapports organiques entre nations.

Dans la seconde moitié du siècle, l’ambition d’une intégration culturelle {f-553.} totale à la «nation-mère» suscite, et chez les Hongrois et chez les Roumains, un vrai «exode des cerveaux» vers Pest et Bucarest. En voie de devenir une grande métropole européenne, Budapest attire comme l’aimant artistes et savants hongrois. De leur côté, les intellectuels roumains gravitaient, depuis plusieurs décennies, vers Bucarest. Et non seulement ceux qui se sentaient mal à l’aise dans les conditions politiques de Hongrie ou qui se trouvaient en collision avec le pouvoir, mais même ceux qui avaient fait carrière en Hongrie. Originaire du Banat, Victor Babeş avait enseigné, à partir de 1879, à l’Université de Budapest. Auteur du premier manuel de bactériologie hongrois, il était en rapport avec Pasteur, Koch et Wirchow. En 1886, il répond à l’invitation du gouvernement roumain et s’installe à Bucarest. Son frère, chimiste, passe en Roumanie, de même que George Crăiniceanu, ophtalmologiste de grande notoriété, auteur de plusieurs monographies notamment en hongrois et en allemand. Leur exemple prouve que seul le milieu national offre la possibilité d’une carrière de pleine valeur aux intellectuels créateurs.

Les contre-exemples, comme celui de Grozescu, poète et publiciste qui quitte la Roumanie pour rentrer à Pest, relèvent de ces exceptions qui confirment la règle.

La situation des écoles

Le réseau scolaire des trois nations transylvaines commence à se développer à l’époque bourgeoise, à partir de niveaux fort différents. Leurs héritages historiques diffèrent tout aussi bien que le potentiel économique de chacune ou encore l’attitude populaire vis-à-vis de la culture. Le pouvoir en place apporte des modifications supplémentaires à ce tableau disparate: il façonne le développement du système scolaire en fonction de ses propres objectifs. Au début de la période examinée, les écoles sont, toutes, confessionnelles et cet état des choses ne changera pas essentiellement durant toute la période.

Une synthèse sur les écoles hongroises de Transylvanie reste encore à écrire. Nous manquons de données sûres quelquefois même quant au nombre des établissements scolaires. En 1851, sur 2146 écoles de Transylvanie, 949 sont hongroises, 742 roumaines et 455 saxonnes. En 1869, c’est-à-dire après le Compromis austro-hongrois quand le gouvernement hongrois inventorie les écoles primaires, sur 2654 établissements recensés, 866 dispensent l’enseignement en hongrois, 1436 en roumain et 273 en allemand – le reste étant multilingue. Sur 113 000 enfants hongrois en âge de scolarité obligatoire à peine 47 000 vont à l’école, et parmi ces derniers un sur deux pendant toute l’année scolaire; les enfants saxons, eux seuls, vont à l’école à 80%. Bon nombre de parents – surtout campagnards – se montrent plus ou moins hostiles à l’enseignement, si bien que le ministère des Cultes et de l’Instruction Publique constatera avec stupéfaction en 1870 que très souvent même les familles nanties cherchent à soustraire leurs enfants à l’école obligatoire.

Outre le retard général, une particularité transylvaine de l’enseignement hongrois consiste dans le fait qu’il se répartit entre plusieurs confessions. Les unitariens sont considérés comme la communauté la plus soucieuse de ses écoles; du moins, c’est parmi eux que l’on constate le taux le plus élevé d’élèves inscrits. Viennent ensuite les calvinistes, suivis de près par les catholiques. Les chiffres ne permettent guère de conclure au niveau de l’enseignement {f-554.} élémentaire, bien différent d’une région et d’une école à l’autre. On sait toutefois que la rétribution des instituteurs était, en milieu hongrois, la plus élevée chez les catholiques.

Après le Compromis, l’Etat assure un traitement préférentiel à l’école hongroise, en partie pour défendre la diaspora magyare, mais surtout pour diffuser la connaissance de la langue hongroise parmi les allogènes. La création des écoles par l’Etat et les aides ad hoc fournies aux écoles confessionnelles font incontestablement promouvoir l’enseignement élémentaire en langue hongroise. A la fin du siècle, on dénombre, rien que dans les comitats sicules, 797 établissements d’enseignement accueillant deux fois plus d’élèves que le nombre total d’enfants hongrois de Transylvanie scolarisés au moment du Compromis.

Le néo-absolutisme modernise et uniformise l’enseignement secondaire. L’Etat dualiste cherche à construire des lycées et des écoles spécialisées neufs. Les lycées et collèges de grande tradition gardent leur rôle éminent. Les écoles secondaires de Kolozsvár, Nagyenyed et Marosvásárhely jouissent d’une notoriété nationale. Le lycée piariste de Kolozsvár, tout comme d’autres établissements, accueille en permanence un nombre considérable d’élèves roumains. Le lycée calviniste de Zilah a formé non seulement Endre Ady, mais comptait aussi parmi ses élèves Iuliu Maniu, l’homme politique roumain de grande envergure du XXe siècle.

La fondation de l’Université François-Joseph à Kolozsvár en 1872 vient compléter le système scolaire hongrois. Elle est créée à partir de l’Académie de droit et de l’Institut de chirurgie supprimés et de la Société du Musée Transylvain. A ses débuts, elle est aux prises avec maintes difficultés, mais grâce à une pléiade de bons spécialistes, puis à la subvention budgétaire croissante, elle sera devenue, au tournant du siècle, un centre prestigieux de formation et de recherche. La fondation de l’Université transforme Kolozsvár en une ville scolaire moderne où professeurs et étudiants représenteront, avant la Première guerre mondiale, le quart de la population.

Le réseau scolaire saxon connut un développement exemplaire non seulement par rapport aux conditions générales du bassin des Carpates, mais aussi à l’aune européenne.

A l’époque du néo-absolutisme, la modernisation des lycées saxons, préconisée par le gouvernement, est opérée sans que l’Etat les prenne en charge, comme il agit à l’égard de l’Académie de droit de Nagyszeben. Les richesses de l’Universitas saxonne ont permis en 1850 d’instituer une dotation scolaire à part, assurant la gestion et l’entretien des établissements éducatifs, ce qui aidait à maintenir le niveau de scolarisation élevé. Le potentiel financier et l’exemplaire esprit de sacrifice des Saxons suffiront, même à l’époque dualiste, à parer aux velléités magyarisantes des pouvoirs publics affectant les établissements éducatifs et à n’accepter que des subventions d’Etat qui n’en menacent nullement l’autonomie. (Les communes saxonnes allouent, entre 1907 et 1910, 1,3 million de couronnes pour la construction d’écoles et, parmi les banques, rien que la Hermannstädter Sparkasse verse, jusqu’en 1912, plus de 2,6 millions de couronnes à des buts non lucratifs, surtout scolaires.) En 1907, grâce à des ventes de forêts, l’Universitas peut créer une nouvelle fondation de 18 millions de couronnes qui, avec les subventions d’Etat (plus substantielles à partir de 1910) suffit à la reconstruction nécessaire des lycées. Le corps enseignant de ces derniers se compose essentiellement de professeurs qui ont obtenu leur diplôme en Allemagne. Beaucoup d’entre eux font même des recherches. Le plus célèbre, Hermann Oberth, commence ses expérimentations {f-555.} à l’âge de lycéen et sera, après la Grande guerre, l’un des fondateurs de l’astronautique.

A la fin de l’époque examinée, l’illettrisme aura totalement disparu parmi les Saxons. Toutes leurs communes ont une école, le nombre des instituteurs, bien rémunérés, atteint 700. Les 5 lycées, i école secondaire sciences-langues de degré supérieur, 2 de degré inférieur, i lycée de degré inférieur et 2 écoles normales répondent, selon l’opinion de l’époque, parfaitement aux besoins de la population saxonne de 220 000 âmes. Le haut niveau de ces lycées n’attirait pas seulement les Saxons, car avant la Première guerre mondiale environ le quart de leurs élèves était roumain ou hongrois.

D’un bout à l’autre de la période en question, la faiblesse du réseau scolaire roumain reste une réalité des plus douloureuses et un lourd grief national non seulement pour l’intelligentsia roumaine, mais aussi pour toute la société roumaine de Transylvanie et de Hongrie.

Avant 1848, les Roumains orthodoxes n’avaient pas un seul lycée et celui de Balázsfalva ne pouvait même pas satisfaire les besoins des uniates. Pour rattraper leur retard culturel, dans la décennie 1850, ils expriment leur vśux de créer 18 lycées, mais durant le néo-absolutisme, seuls sont mis en place le lycée orthodoxe de Brassó (1850) et celui de Naszód créé par une fondation (1863). Les écoles élémentaires – à propos desquelles nous ne disposons pas de données dignes de foi pour cette période – appartenaient aux deux Eglises. Dans les années 50, on y introduit l’enseignement de la grammaire roumaine et de la langue allemande, et plus tard celui de l’histoire roumaine.

Après le Compromis, la loi Eötvös de 1868 sur l’école élémentaire instaure la scolarité obligatoire (à cette époque 28 à 33 pour cent seulement des enfants roumains fréquentent l’école) et en même temps la liberté de l’enseignement. Il s’ensuit une vague de fondation d’écoles: beaucoup d’écoles confessionnelles et communales sont créées. La loi a fait obligation à l’Etat d’implanter, dans les régions pauvres, des écoles élémentaires en la langue maternelle des élèves, obligation qui reste longtemps lettre morte même dans les régions hungarophones, et quant aux écoles roumaines, l’Etat n’en a point créé. L’enseignement est donc resté du ressort des Eglises: le pope du village faisait figure de «directeur», l’archiprêtre d’inspecteur et l’archevêché constituait l’instance suprême, une sorte de ministère de l’Instruction publique. Le gouvernement faisait publier des manuels d’enseignement de langue roumaine et un périodique pédagogique et Eötvös est allé jusqu’à créer en 1868 une école normale roumaine à Déva, mais dans l’ensemble, l’éducation était confiée à un inspectorat qui n’avait qu’à observer un certain nombre de normes. (A l’école élémentaire, l’enseignement du hongrois n’était pas obligatoire. Les Roumains de Transylvanie disposaient de manuels édités à leur intention qui étaient appréciés même en Roumanie.)

La décennie suivant le Compromis peut être considérée comme la grande époque de l’école roumaine. En 1879 on comptait déjà, sur le territoire de l’Etat hongrois, 2755 écoles élémentaires roumaines. Mais à partir de ce moment, l’expansion est pratiquement arrêtée et commence une politique de magyarisation dont nous parlerons dans notre aperçu d’histoire politique. En 1879 l’enseignement du hongrois comme une des disciplines obligatoires est introduit dans les écoles non hongroises et l’Etat a souvent recours à la fermeture des établissements non conformes aux prescriptions pour instituer à leur place une école de langue hongroise ou de plusieurs langues. Les communes pauvres essaient de se décharger de l’entretien d’une école, ce qui favorise les visées d’étatisation. Résultat: le retard ne sera pas rattrapé. Au {f-556.} début du siècle, l’analphabétisme sera le plus important en milieu roumain. (Dans le comitat de Szolnok-Doboka, les alphabétisés ne représentent que 20,8%„ et dans les comitats de Kolozs et de Hunyad il n’en va guère mieux.) Lorsque, en 1908, la Lex Apponyi ordonne l’augmentation des appointements d’instituteur, bien des écoles roumaines se voient obligées d’accepter la subvention d’Etat, ce qui implique la pénétration accrue de l’enseignement du hongrois. D’autres établissements cessent d’exister. Alors qu’en 1904, la statistique officielle fait état de 2433 écoles entièrement roumaines et de 407 bilingues, en 1913, le nombre total de celles-ci se monte seulement à 2170. Certes, les Eglises roumaines font état d’un nombre plus élevé d’écoles, soit de 2665 au total, 3350 instituteurs bénéficiant d’aide de l’Etat.

La pauvreté de la société roumaine et la politique scolaire hongroise magyariste font que les Eglises s’avèrent incapables de développer davantage le réseau scolaire roumain. L’assistance budgétaire dont bénéficient les deux Eglises aux fins des écoles (3 millions de couronnes en 1914) ne contribue que tout au plus au maintien à niveau. Dans ces conditions, de 10 à 20 pour cent – selon certaines estimations, le tiers – des élèves roumains se voient obligés de fréquenter l’école hongroise ou allemande. Ajoutons que parmi les Roumains, le taux des non scolarisés atteint 39,2 pour cent, chiffre plus élevé qu’en milieu hongrois.

A l’époque du dualisme, 5 lycées roumains fonctionnaient. Pour en créer d’autres, les Eglises manquaient de ressources, mais aussi l’Etat entravait les efforts de ce genre, comme dans le cas de Karánsebes. La politique officielle en matière d’éducation concentrait ses efforts sur la magyarisation de l’enseignement secondaire; soi-disant pour assurer la protection des Hongrois disséminés, le gouvernement installe des lycées dans les régions allogènes, notamment à Nagyszeben, Fogaras, Karánsebes et Oravica, qui accueillent un grand nombre d’élèves. (Dans l’année scolaire de 1911/12, 1913 élèves roumains fréquentaient l’école secondaire roumaine, 4256 allant à l’école hongroise ou allemande.) Cinq lycées d’Etat assuraient l’enseignement du roumain sur option. L’enseignement secondaire est considéré à cette époque comme une affaire nationale, ce dont témoignent les accusations de «comportement non patriotique» portées périodiquement contre les professeurs et les élèves des écoles secondaires roumaines. Une telle affaire a fourni le prétexte de la magyarisation partielle du lycée roumain de Belényes en 1889. Dans le même contexte, mentionnons le débat, à la fin du siècle, sur la subvention versée par la Roumanie au lycée roumain de Brassó, et rappelons que, lors des pourparlers avec le comte István Tisza, premier ministre, avant la Première guerre mondiale, l’une des revendications majeures du parti national roumain visait la création de nouvelles écoles secondaires roumaines.

De même, les Roumains avaient accès à l’enseignement supérieur en dessous de leur importance numérique. Outre trois séminaires orthodoxes et quatre uniates, on comptait, avant la Première guerre mondiale, 6 écoles normales roumaines. Ces dernières accueillaient quelque 400 élèves par an. Malgré le souhait formulé par la génération de 1848, on n’a pas créé d’académie de droit roumaine. Les jeunes Roumains désireux de recevoir une formation universitaire, allaient étudier à Budapest, Vienne ou Kolozsvár ou encore dans des universités d’Allemagne. La chaire roumaine fonctionne depuis 1862 à l’Université de Pest. Son premier titulaire, Alexandra Roman, gardera son poste jusqu’en 1897, malgré les procès en délit de presse qui lui valent des condamnations. Quant à l’Université de Kolozsvár, en vain les Roumains veulent-ils la voir bilingue, seule une chaire du roumain y est créée, {f-557.} dont le premier titulaire, Grigore Silaşi sera mis à la retraite en 1885 pour des motifs politiques; son successeur, Grigore Moldovan, est considéré par beaucoup comme renégat à cause de son opposition intransigeante au parti national roumain. Les deux Universités hongroises et les Académies de droit accueillirent, dans les années précédant la Grande guerre, de 600 à 700 étudiants roumains.

Pour la jeunesse roumaine les études sont en partie financées par les sociétés, les banques et les fondations à caractère national. A côté des Eglises, la plus importante institution de ce genre était la fondation Gozsdu qui, jusqu’à la guerre mondiale, avait versé plus d’un million de couronnes de bourses à trois milliers d’étudiants. Mais on pourrait citer aussi les bourses offertes par les fonds communautaires de Naszód et de Karánsebes, par l’ASTRA et par maints particuliers.

Le monde changeant des sciences

Dès l’époque des réformes, la vie scientifique hongroise de Transylvanie était intimement liée à celle de Hongrie. Pendant l’ère du néo-absolutisme – on l’a vu à propos de la Société du Musée Transylvain – le monde savant remplissait une mission directe de politique nationale. Le Compromis a mis fin à l’existence d’une vie scientifique transylvaine séparée, sauf peut-être dans les domaines de l’histoire régionale et de l’activité des sociétés d’archéologie et d’histoire locale, elles-mêmes rattachées aux travaux à l’échelle nationale.

La fondation, en 1872, de l’Université de Kolozsvár dépasse en importance les cadres proprement transylvains: elle marque une étape du développement scientifique national. Certes, «le dernier savant polyvalent» et grand débatteur, Sámuel Brassai poursuit encore ses activités, mais les décennies suivantes sont déjà marquées par l’émergence de spécialistes.

L’histoire de la Transylvanie en six tomes par László Kõvári, issu de la génération de 1848, est encore nettement centrée sur la politique, tout aussi bien que son précis d’histoire de la Transylvanie en 1848-49, paru en 1861. Sàndor Szilágyi écrit une synthèse plus moderne tournée vers l’histoire de la civilisation. De son côté, Elek Jakab, archiviste, rédige un ouvrage historique concis sur 1848-49 et une excellente histoire de Kolozsvár. Peu à peu la publication des sources prend une importance croissante, ce dont témoigne le succès de la série Erdélyi Történelmi Adatok (Données historiques de Transylvanie) éditée par Imre Mikó et renfermant les célèbres Erdélyi országgyûlési emlékek (Documentes relatifs aux diètes transylvaines 1540-1699) publiés en 21 volumes par Sándor Szilágyi.

L’avènement du nouveau siècle marque un regain d’activité d’histoire locale et régionale. On voit sortir les unes après les autres des monographies sur les comitats. Utilisables même aujourd’hui, elles dénotent l’influence de l’śuvre monumentale de Balázs Orbán: A Székelyföld leírása (Description du pays des Sicules) (Budapest, 1868-1873). L’historiographie, de plus en plus spécialisée, ne se détache pas pour autant de la politique, comme le prouve l’activité de l’historien Benedek Jancsó, en particulier son excellent livre – quoique partial: Szabadságharczunk és a dákoromán törekvések, 1896 (Nos luttes pour l’indépendance et les prétentions daco-roumaines).

En sciences, on voit sortir de l’Université des spécialistes remarquables. Après 1900, un bâtiment, soutenant toute comparaison internationale, est construit pour la Bibliothèque universitaire qui sera la seconde bibliothèque {f-558.} publique du pays; les institutions annexes, dont aussi des laboratoires, se développent. Parmi les savants formés par cet établissement, on pourrait citer, un peu arbitrairement, les noms de Károly Böhm, philosophe, Géza Entz, zoologiste et son confrère István Apáthy, proposé même au prix Nobel, Ferenc Veress, professeur de photographie, pionnier des prises en couleurs, Lajos Martin, théoricien de l’aéronautique, ainsi que Gyula Szádeczky Kardos, géologue. L’activité de Hugo Meltzl tient une place spéciale: il traduit pour Nietzsche la poésie de Petõfi et édite avec Brassai à partir de 1877, Összehasonlító Irodalomtörténeti Lapok (Revue de littérature comparée), périodique innovateur d’importance internationale, paraissant en douze langues.

La vie scientifique roumaine doit beaucoup à la persévérance et à l’esprit de sacrifice de certains, car les cadres organisationnels et institutionnels lui faisaient presque totalement défaut. Son organisation ne commencera, même dans l’Etat roumain, qu’à partir des années 1880.

L’historiographie, discipline par excellence «nationale» suit deux voies distinctes chez les Roumains de Transylvanie: d’une part on publie, à partir des années So, des ouvrages de synthèse qui, évoquant le passé tourmenté et héroïque de la nation, étayent les revendications nationales (August Treboniu Laurian, A. Papin-Ilarian), de l’autre on voit démarrer la publication des sources à titre de fondement de l’historiographie rigoureusement scientifique. Une synthèse historique d’envergure de l’époque suivant le Compromis est l’ouvrage de Bariţ: Părţi alese din istoria Transilvaníei pe 200 de ani în urmă (Thèmes choisis des 200 dernières années de l’histoire de la Transylvanie), paru en 1889-91 à Nagyszeben en trois volumes. Ses successeurs choisiront des périodes plus courtes, porteront leurs investigations approfondies sur telle région ou telle personnalité ou encore sur l’histoire de l’Eglise et des écoles et multiplieront les publications de sources. Mais bien entendu, la science ne se détache pas entièrement de la politique du jour, même chez ceux qui font leurs études universitaire à Budapest ou à l’étranger. Il est caractéristique à cet égard que l’ouvrage représentatif du début du XXe siècle, un travail d’histoire politique en 8 tomes de T. V. Păcăţian: Cartea de aur, sau luptele nationale ale Românilor de sub corona ungară (Livre d’or ou les luttes nationales des Roumains vivant sous la couronne hongroise) est aussi une publication de sources au service des objectifs immédiats du mouvement national roumain.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la Transylvanie continue à jouer un rôle notable, quoique décroissant dans le développement de la linguistique roumaine. Dans la ligne droite des traditions de la triade transylvaine du XVIIIe siècle (S. Micu-Klein, Gh. Şincai, P. Maior), le savant chanoine de Balázsfalva, Timotei Cipariu, édite la première revue de philologie. Non content de s’occuper de l’histoire de la langue et de sa phonétique, il plaide pour l’adoption de l’ortographe latine étymologisante – fort différente du langage parlé. Enfin, les années 60 apportent le tournant décisif: la presse roumaine de Transylvanie passe de l’alphabet cyrillique aux caractères latins. Il va sans dire que cette tentative étymologisante, visant à éliminer de la langue les mots et éléments non latins trouvera des adeptes même de l’autre côté des Carpates, elle sera adoptée par l’Académie de Bucarest et il aura fallu plusieurs décennies de débats pour en redresser les criants dérapages.

Après le Compromis, la vie scientifique roumaine de Transylvanie emprunte trois voies différentes. Certains de ses représentants continuent la tradition désormais bien ancrée de s’établir en Roumaine ou d’y recevoir une formation de savant – comme par exemple Ioan Bogdan, père de la slavistique roumaine, d’autres vont aux universités de Hongrie et de l’étranger {f-559.} pour exercer ensuite à Budapest (Victor Babeş, G. Alexici); d’autres encore – et c’est là une tendance qui s’amplifie – sortant de l’Université, cherchent et trouvent leur place dans le réseau scolaire roumain de Transylvanie, ou font des travaux scientifiques avec le soutien de l’ASTRA ou de l’Eglise. Un créateur du domaine des sciences techniques comme Aurel Vlaicu, constructeur d’avion, dont la renommée dépasse les frontières des deux pays, constitue une exception.

Les lettres et les arts

Dans le long demi-siècle qui va de 1849 à la Première Guerre mondiale, le courant principal de la vie littéraire et artistique mène de la recherche des thèmes idéalisés véhiculant les aspirations nationales à l’affirmation graduelle des tendances dites modernes. Grâce aux progrès de la scolarisation, la littérature et les arts plastiques concernent aussi désormais, au-delà d’une mince couche de nobles et d’intellectuels, une bourgeoisie de plus en plus nombreuse et même les paysans cultivés, tout en présentant un clivage croissant entre le grand art et le divertissement de pacotille. Au lieu d’analyser ici les rapports complexes entre l’accueil fait à la culture par les diverses couches et le monde multiforme des lettres et des arts, contentons-nous d’un tableau de synthèse sur la vie littéraire et artistique.

Dans les premières décennies de l’époque étudiée, les belles-lettres roumaines sont rattachées à telle ou telle région restreinte ou encore à Pest-Buda, un des centres intellectuels de Roumains. Les prémices d’écrivains et de poètes voient le jour, outre les gazettes culturelles éphémères et des anthologies, publiées à partir de 1854 tant dans le Banat et le Bihar qu’à Pest, aussi dans la revue culturelle de Bariţ paraissant à Brassó: Foaie pentru mince, inimă şi literatură et plus encore dans Familia, fondée par Iosif Vulcan en 1865 à Pest et paraissant à partir de 1880 à Nagyvárad. Vulcan est le continuateur par excellence du programme culturel du réveil national: organisateur de la vie littéraire, rédacteur de journal, folkloriste, poète, nouvelliste et dramaturge à ses heures, auteur même d’un roman, il maintient d’excellents rapports avec la vie intellectuelle de Pest, est membre de la Société Kisfaludy, puis de l’Académie de Bucarest également. Il a le grand mérite de publier régulièrement des ceuvres traduites du hongrois et d’offrir les colonnes de sa gazette aux premières poésies de Mihail Eminescu, le plus grand poète classique roumain, mais non transylvain. Outre les journaux, des almanachs et des calendriers adressés au large public proposent des lectures de bon niveau à ceux qui savent lire.

Jusqu’à l’entrée en scène de la génération de fin du siècle, l’histoire de la littérature ne fait état en Transylvanie d’aucun auteur roumain de grande importance. La poésie d’Andrei Mureşanu avait atteint son apogée avant 1849 pour s’intégrer dans le tout de la littérature roumaine. Dans les vers de ses épigones transylvains, le passé historique reste longtemps le leitmotiv. Les écrivains, les gens de lettres et les journaux roumains de l’époque considèrent la découverte et la publication de la poésie populaire, et du folklore en général, comme une mission nationale. Le premier recueil de chansons populaires est publié en 1859 par Atanasie Marienescu.

La polémique hungaro-roumaine à propos de la poésie populaire est bien caractéristique de l’époque. Edité en 1863 par le poète et évêque unitarien János Kriza, le recueil de poésie populaire sicule Vadrózsák (Églantines) est {f-560.} pris à partie dans un journal de Budapest par Iulian Grozescu, par ailleurs excellent folkloriste, qui prétend que les ballades Kelemen Kõmüves et Anna Molnár sont de simples traductions de ballades populaires roumaines. La longue polémique, entrée dans l’histoire des lettres sous le nom de «Procès des Eglantines», éclaircit qu’il s’agit là de parallélismes remontant à des rapports interculturels très anciens et attire en même temps l’intérêt des Hongrois sur la poésie populaire roumaine. Une anthologie en langue hongroise en paraîtra en 1870 sous les auspices justement de Grozescu et de Vulcan dont nous venons de citer les noms. Les recherches sur le folklore doivent beaucoup au nouvelliste Ion Pop Reteganul, traducteur inspiré de maints ouvrages littéraires magyars qui a collecté plusieurs milliers de chansons et de légendes populaires, ainsi qu’aux professeurs Grigore Silaşi et Grigore Moldovan de Kolozsvár.

A la fin du XIXe siècle, le développement de la communauté roumaine de Transylvanie et de Hongrie et les progrès de l’intégration nationale portent leurs fruits, notamment littéraires. Fondateur du Tribuna de Nagyszeben, Ioan Slavici puise les thèmes de ses nouvelles et romans réalistes dans le monde rural roumain de Transylvanie, mais son activité d’homme de lettres le lie essentiellement à Bucarest. Collaborateur d’abord du Tribuna, le poète George Coşbuc, de Naszód, deviendra, de l’autre côté des Carpates, un rénovateur de la poésie roumaine, tout comme Ştefan Octaviais Iosif, de Brassó.

Au début du XXe siècle, la capitale hongroise s’impose à nouveau comme foyer de la vie politique et spirituelle roumaine. La carrière du poète Octaviais Goga, originaire de la région de Nagyszeben, avait débuté à Budapest où il sera la personnalité marquante du journal littéraire Luceafărul fondé en 1902. C’est là que paraissent ses premiers recueils. Le cénacle de cette nouvelle revue se fait le propagateur d’un nouveau populisme d’inspiration nettement nationale et politique. C’est parmi eux que commence la carrière du remarquable nouvelliste Ioan Agîrbiceanu. Goga sera marqué pour la vie par la poésie hongroise et surtout par son amitié avec le plus grand poète hongrois de l’époque, Endre Ady, amitié qui sera brutalement rompue en 1914. Mais à cette époque, Luceafărul paraît déjà depuis longtemps (depuis 1906) à Nagyszeben. Goga s’y installe lui aussi pour mettre son talent exceptionnel au service du mouvement national roumain et rester, jusqu’à la fin de ses jours, un homme politique actif.

C’est dans un milieu nettement hongrois que s’épanouit l’śuvre du nouvelliste Liviu Rebreanu de Naszód qui, à ses débuts, s’était même essayé à écrire en hongrois, puis, abandonnant la carrière militaire, s’établit en 1908 en Roumanie et atteindra une rare perfection de romancier après la guerre mondiale. Bien différent est le chemin du poète et écrivain Emil Isac, fort attiré par les progressistes magyars du début du siècle, en particulier par la social-démocratie, et dont la poésie fait place au prolétariat; il restera solidaire de ses amis hongrois malgré la flambée nationaliste de la guerre mondiale. Le fait qu’il a pris la dernière photo valable du poète Endre Ady mourant, au moment de la débâcle de la Hongrie historique, a probablement valeur de symbole.

C’est également pour servir la cause nationale que les écrivains et poètes saxons se mirent à collecter la poésie populaire ou à exprimer, dans des poèmes, des nouvelles et des pièces de théâtre à thèmes historiques, leurs idées sur le réveil national. Poète réputé à l’époque, Viktor Kästner écrit ses vers en dialecte saxon et fait école. En revanche, Friedrich Wilhelm Schuster considère {f-561.} les Saxons comme partie organique de la grande culture allemande et cette conviction marque sa poésie. Michael Albert excella par ses poèmes didactiques plutôt traditionnels. Cependant la poésie politique tarit, chez les Saxons comme chez les autres, dans le dernier tiers du siècle. Les premières décennies de l’époque étudiée sont caractérisées par la nouvelle, le roman et le théâtre historique comme Die Bürger von Kronstadt de Traugott Teutsch (1865) qui évoque le XVIIe siècle, ou bien plus tard, son chef-d’śuvre, Schwarzburg (1882) qui présente les luttes intestines de la Transylvanie du XIVe siècle. Le message de la littérature saxonne demeure, après le Compromis, la lutte d’auto-défense héritée de l’époque précédente. Une expression en est, Johannes Honterus (1898) considéré comme la meilleure pièce de théâtre de Traugott Teutsch. Le récit historique dominera l’avant-scène (au sens figuré comme au sens concret) pendant toute cette époque. Les auteurs renouent sans cesse avec le thème de l’arrivée des Saxons dans le pays et avec leur histoire précoce ce qui montre combien l’intelligentsia tout entière est comme hantée par les problèmes vitaux de cette ethnie peu nombreuse.

Dans des mutations du tournant du siècle, sous l’effet des nouveaux courants artistiques, on voit s’épanouir une littérature plus moderne tournée vers le temps présent, dont les morceaux les plus connus sont les romans d’Oskar Wittstock et de cet Adolf Meschendörfer qui lance en 1907 la revue littéraire et artistique Die Karpathen; mais on observe aussi une production de vers et de prose consacrés à la vie rurale. Bien des ouvrages sont conçus dans le dialecte local. L’avancée de la langue dialectale contribue à l’intégration nationale et ne contraste nullement avec l’ancrage à la culture pan-allemande.

La vie littéraire hongroise se concentre, dès avant 1848, incontestablement à Pest. Le romancier baron Miklós Jósika qui ne rentrera plus d’émigration après la chute de la guerre d’indépendance, restera attaché, dans ses romans et nouvelles, au passé transylvain. De même, Zsigmond Kemény vivra essentiellement à Pest, mais ses romans psychologiques développent des thèmes transylvains. De poète transylvain, Pál Gyulai, de la génération de 1848, devient, toujours à Pest, un prestigieux critique littéraire et un chef de file de la vie intellectuelle. Pendant longtemps Dániel Dózsa restera le seul écrivain et poète incontestablement transylvain; il puise d’ailleurs ses thèmes surtout dans le passé des Sicules.

Cependant, même après le Compromis, les tentatives se multiplient en vue d’organiser la vie littéraire et artistique régionale. L’écrivain-pasteur réformé Lajos Tolnai fonde en 1876 à Marosvásárhely la Société Zsigmond Kemény dont l’activité prometteuse a pourtant de la peine à démarrer et cessera presque complètement en 1884 dans un climat d’indifférence. Elu à sa présidence en 1896, le nouvelliste István Petelei, partisan zélé de la décentralisation, lui donnera un second souffle et l’on trouvera, avant la guerre, dans ses rangs Farkas Gyalui, Sándor Márki, Károly Szász et László Ravasz. En 1888 est fondée à Kolozsvár la Société Littéraire de Transylvanie, présidée longtemps par l’éminent orientaliste, le comte Géza Kun. Le noyau en est constitué par les hommes politiques József Sándor et Miklós Bartha, les hommes de science Kõvári et Brassai et les écrivains Petelei et Elek Benedek. Sa revue littéraire Erdélyi Lapok (Gazette transylvaine) aura en 1912 pour rédacteur en chef le baron Miklós Bánffy.

Avant la Première guerre mondiale, la Transylvanie consomme près du tiers de la production de livres hongrois, sans parvenir à créer une culture régionale autonome.

{f-562.} Dans l’état actuel de la recherche, l’historiographie n’a pas grand’chose à dire des arts plastiques. Les maîtres de grande notoriété: Miklós Barabás et Károly Szathmáry Pap quittent tôt la Transylvanie. Le jeune Bertalan Székely peint probablement, dès 1850 le portrait du gouverneur Schwarzenberg à Nagyszeben, mais c’est la Hongrie proprement dite qui l’élèvera au rang de maître de la peinture historique. Resté dans son pays natal, le Sicule Jenõ Gyárfás (1857-1925) n’en a pas moins accédé à une réputation nationale; ses tableaux les moins connus à l’époque sont les plus réussis. (Ferenc Veress dont nous avons utilisé les photos dans le présent ouvrage, a joué un rôle d’importance internationale dans la création et les innovations techniques d’une nouvelle branche artistique, la photographie.) D’une manière générale, les travaux des artistes hongrois locaux sont pour le moment si peu connus que le plus que l’on puisse affirmer en toute certitude est qu’il n’y avait pas de régionalisme marquant dans toute l’époque étudiée.

Sur «la frontière de la Transylvanie» de l’époque, mais encore en deça, à Nagybánya, Simon Hollósy crée en 1896 sa célèbre école de peintres, en rupture avec l’académisme de type munichois; c’est un atelier de grand prestige de la peinture impressionniste hongroise qui éveille un vif intérêt même à l’étranger. Les pionniers connus de la peinture hongroise moderne Károly Ferenczy, István Réti, Béla Iványi Grünwald s’y étaient épanouis avant de remporter de grands succès aux expositions de Budapest.

Les beaux-arts saxons sont marqués après 1849 pour un certain temps par la prédominance d’Allemands non originaires de Transylvanie, comme Theodor Glatz, et Theodor B. Sockl. Puis, à partir de la décennie 80 une nouvelle génération sort des lycées. Elle fait parler d’elle après la première Exposition d’Art de Nagyszeben, de 1887. Certains de ses membres vont faire des études à Budapest, à Munich ou en Italie. Les plus connus sont Robert Wellmann (1866-1910), Karl Ziegler (1886-1945) et Fritz Schullerus (1866-1898); ce dernier peint de vastes tableaux historiques évoquant le passé saxon, dans la lignée académique. Arthur Coulin (1869-1912) est le fer de lance, en Terre saxonne, de l’art moderne qui façonnera le profil artistique de la revue Die Karpathen paraissant à partir de 1907. L’arrivée de la guerre sonnera le glas à la peinture réaliste en milieu saxon.

Un artiste original est János Máttis Teutsch (1884-1960), jadis à la tête de la peinture moderne en Transylvanie, revendiqué par les historiens des arts tant hongrois que saxons. De toute sa vie, il était ballotté entre les honneurs et l’oubli. Fils de père sicule, il grandit dans une famille saxonne. A l’école d’industrie du bois de Brassó, il se fait remarquer par son talent de sculpteur sur bois. Il poursuit des études à Budapest et à Munich et commence sa carrière comme sculpteur dans le style académique. En peinture, il commence par des portraits et des paysages conventionnels. Dans une nouvelle phase de son art, pendant la guerre, Lajos Kassák découvre en lui un des premiers représentants de l’expressionnisme et de l’art abstrait en Hongrie. Avec quelques interruptions, Máttis Teutsch vit comme professeur à Brassó, sa ville natale.

Parmi les artistes roumains vivant sur le territoire de l’Etat hongrois, certains déploient leur activité au-delà des frontières, comme Constantin Lecca (1810-1887), d’autres travaillent tant en Hongrie qu’en Roumanie, comme Mişu Pop (1827-1892) issu d’une famille de peintres d’icônes, qui fait des tableaux d’église et des portraits dans le style viennois; il perpétue la presque totalité des personnalités marquantes de la génération roumaine de 1848. Parmi les peintres roumains du Banat, les plus importants sont Nicolae Popescu (1835-1877) chez qui l’on découvre l’influence des Viennois, Constantin {f-563.} Daniel (1789-1873) de Temesvár, auteur de plusieurs tableaux historiques, ainsi que le peintre d’église et portraitiste Ioan Zaicu (1868-1914).

Dans la génération 1900, mentionnons Octaviais Smighelschi (1866-1912), ami intime du Saxon Coulin: ils partagent la tâche de peindre les murs de l’église orthodoxe de Nagyszeben, et font ensemble un voyage d’études en Italie grâce à la bourse Fraknói. Peintre d’église dans la tradition byzantine, Smighelschi est connu de ses contemporains comme portraitiste et paysagiste aussi.

En sculpture, les Transylvains en restent aux bustes et aux statuettes. Lorsque commence, vers la fin du siècle, l’érection de grandes statues de bronze sur les places publiques, les commandes sont passées généralement à des artistes extérieurs à la Transylvanie. La statue du général Bem à Marosvásárhely fut exécutée en 1889 par un artiste de Budapest et celle de Honterus à Brassó est confiée en 1898 à un artiste berlinois; celle de l’évêque et historien Georg Daniel Teutsch est moulée à Nagyszeben en 1899, par un sculpteur de Stuttgart. La statue équestre du roi Mathias à Kolozsvár (1902) et la statue de Wesselényi à Zilah sont également dues à un artiste hongrois de la capitale.

En architecture, les styles courants prédominent ici aussi. Cet art suit la mode de Budapest, du néogothique à l’Art Nouveau, les courants modernes inondent les paysages urbains traditionnels. Mais le nouveau siècle apporte des touches nouvelles. De même qu’en musique Bartók et Kodály cherchent en Transylvanie les couches profondes du folkore musical magyar, de même en architecture, une branche à part jaillit de l’Art Nouveau. Ede Thoroczkai Wigand, Dezsõ Zrumeczky et le plus connu de tous, Károly Kós, puisent leurs formes dans l’architecture hongroise de Kalotaszeg et de la Terre sicule pour créer un style architectural «populiste» qui, en Transylvanie, donnera naissance à un certain nombre de bâtiments privés et publics et qui a aussi ses adeptes en Hongrie. Plusieurs de leurs śuvres restent, jusqu’à nos jours, des témoignages d’une architecture typiquement transylvaine.

Les tendances littéraires et artistiques nouvelles qui, vers 1900, émergent en tant que négation du courant dit populaire national, s’affirment en force dans la périphérie de la Transylvanie historique, dans la zone d’interférence culturelle s’étendant de Nagybánya à Temesvár dont les tendances profondes n’ont pas encore été étudiées. C’est surtout Nagyvárad qui condense, dans sa vie intellectuelle, face à la littérature conventionnelle et officielle, les ambitions radicales bourgeoises (et socialistes) dont Endre Ady s’érige en symbole, déjà aux yeux de ses contemporains.

{f-552-553.}

79. Pont en fonte, exécuté par la fabrique de Füle en 1859 pour Nagyszeben

79. Pont en fonte, exécuté par la fabrique de Füle en 1859 pour Nagyszeben

80. Couvercle de canalisation provenant de l’usine Rieger de Nagyszeben, vers 1900

80. Couvercle de canalisation provenant de l’usine Rieger de Nagyszeben, vers 1900

81. Pont-rail sur le Maros, construit pour la ligne Premier Chemin de Fer Transylvain en 1870

81. Pont-rail sur le Maros, construit pour la ligne Premier Chemin de Fer Transylvain en 1870

82. La station de Piski, 1870

82. La station de Piski, 1870

83. Le remblai de Sztána, vu de Sud-Ouest. Photo de Ferenc Veress vers 1868

83. Le remblai de Sztána, vu de Sud-Ouest. Photo de Ferenc Veress vers 1868

84. Ligne ferroviaire près de Bánffyhunyad au début des années 1870. Photo de Ferenc Veress

84. Ligne ferroviaire près de Bánffyhunyad au début des années 1870. Photo de Ferenc Veress

85. Les fonderies de plomb à Ó-Radna, avec leur fumée caractéristique. Années 1870. Photo de Ferenc Veress

85. Les fonderies de plomb à Ó-Radna, avec leur fumée caractéristique. Années 1870. Photo de Ferenc Veress

86. Tours de cokerie à Lupény au début du siècle

86. Tours de cokerie à Lupény au début du siècle

87. L’aciérie type Siemens-Martin de la Société des Chemins de Fer Austro-Hongrois à Resica au début du siècle

87. L’aciérie type Siemens-Martin de la Société des Chemins de Fer Austro-Hongrois à Resica au début du siècle

88. Usine de papeterie à Péterfa au début du siècle. Vue plongeante

88. Usine de papeterie à Péterfa au début du siècle. Vue plongeante

89. Une manufacture: l’intérieur de la basse-forge Lántzky, avec presse à fer, à Szentkeresztbánya, au début du siècle

89. Une manufacture: l’intérieur de la basse-forge Lántzky, avec presse à fer, à Szentkeresztbánya, au début du siècle

90. Plat d’apparat en fonte de Resica, milieu du XIX

90. Plat d’apparat en fonte de Resica, milieu du XIXe s.

91. Les hauts-fourneaux d’Etat à Vajdahunyad, 1896

91. Les hauts-fourneaux d’Etat à Vajdahunyad, 1896

92. Mineurs de sel gemme à Torda en 1894

92. Mineurs de sel gemme à Torda en 1894

93. La partie nord de la grande place de Kolozsvár dans les années 1860

93. La partie nord de la grande place de Kolozsvár dans les années 1860

94. La partie nord de la grande place de Kolozsvár autour de 1900

94. La partie nord de la grande place de Kolozsvár autour de 1900

95. Une tour des remparts médiévaux de Kolozsvár, dite «la porte de la rue Híd». Photo de Ferenc Veress vers 1870

95. Une tour des remparts médiévaux de Kolozsvár, dite «la porte de la rue Híd». Photo de Ferenc Veress vers 1870

96. Le collège de l’université de Kolozsvár

96. Le collège de l’université de Kolozsvár

97. Le bâtiment central de l’université de Kolozsvár vers 1900

97. Le bâtiment central de l’université de Kolozsvár vers 1900

98. Nagyszeben vu de Nord-Ouest. Photo d’Emil Fischer vers 1900

98. Nagyszeben vu de Nord-Ouest. Photo d’Emil Fischer vers 1900

99. Le Palais de la Culture et l’Hôtel de ville à Marosvásárhely. Architectes: Marcell Komor et Dezsõ Jakab, 1913

99. Le Palais de la Culture et l’Hôtel de ville à Marosvásárhely. Architectes: Marcell Komor et Dezsõ Jakab, 1913

100. Les escaliers du Palais de la Culture de Marosvásárhely

100. Les escaliers du Palais de la Culture de Marosvásárhely

101. La statue équestre du roi Mathias sur la grande place de Kolozsvár, par János Fadrusz, 1902

101. La statue équestre du roi Mathias sur la grande place de Kolozsvár,
par János Fadrusz, 1902