I. Les «hommes de la forêt». Les Goths en Transylvanie (271-380)


Table des matières

La destruction de la Dacie

L’histoire universelle de l’Antiquité et l’histoire de la Dacie telle que nous venons de la retracer nous renseignent amplement sur les attaques que les Carps, les Goths et les Gépides lancèrent, entre 238 et 270, contre les provinces romaines situées au nord et au sud du Bas-Danube. A la suite de ces attaques, la situation de la Dacia Superior ne tarda pas à devenir critique. A de rares exceptions près, les garnisons stationnant sur la frontière romaine de Transylvanie y restent jusqu’à la fin du règne commun de Philippe Ier et Philippe II (249), mais on y en trouve encore quelques-unes pendant le règne de Decius (249-251).

Le limes romain en Transylvanie avait été mis sur pied par une grande puissance expansionniste dans la plénitude de sa force et sûre d’elle-même. L’Empire négligea de bloquer les défilés et les cols – à l’exception du col de Vöröstorony – et se contenta de les surveiller depuis une chaîne de postes impropres à la défense; le massif de Lápos, au nord, les monts Kelemen et Görgény et le Hargita à l’est, les monts de Fogaras et de Brassó et les monts de Bereck au sud étaient un no man’s land. La Dacie transylvaine était comme un immense théâtre antique dont Rome cédait les entrées et les tribunes à un public de Barbares et ne se réservait que la scène.

Les camps – plus tard, les places fortes des troupes auxiliaires – se constituèrent dans les plaines situées entre les montagnes et, en raison des difficultés de transport, le long ou dans la proximité des cours d’eau, sur des collines basses, sur les versants des vallées qui permettaient une bonne surveillance des plateaux situés à l’intérieur des montagnes et des cols. Autrement dit, Rome se contenta d’user de cet immense anneau de défense naturel qui – contrairement à une vieille opinion qui trouve quelque crédit même auprès de certains historiens modernes – ne constitua jamais, en fait, une ceinture de protection valable pour la Dacie transylvaine.

Dès les années 160 à 170, ce système s’avéra impropre à répondre à sa fonction et, sous le poids des attaques continuelles des Barbares, il devint, au milieu du IIIe siècle, une charge que le pouvoir romain, acculé à la défensive, n’était plus à même d’assumer. Après 248, les attaques démentelérent successivement les forteresses et les villes protégées d’épais murs d’enceinte de la Scythia Minor, de la Mésie et de la Thrace, et même Athènes et Corinthe subirent un sort identique dans les années 260. Les performances militaires des troupes barbares montrèrent avec éclat qu’aucune place forte de la frontière {f-68.} de Dacie n’était assez puissante pour résister et empêcher l’ennemi de pénétrer dans la province. Le limes de l’Est de la Transylvanie, devenu impossible à défendre, fut cédé, dans les années 250, sans qu’aucune tentative ait été faite pour le protéger.

Dans la partie occidentale de la province, trois ou quatre villes et le castrum d’une seule légion résistent encore pendant un certain temps, tous situés le long de la voie principale conduisant vers le Sud. La défense de Micia (Vecel), qui protège la sortie occidentale de la vallée du Maros, est abandonnée sous le règne de Valérien (260). Comme en témoignent des monnaies enfouies sous terre (trésor monétaire de Galacs), le castrum d’Apulum, dernier bastion situé au centre de la Transylvanie, est, dès 268, en butte à des attaques, dans le même temps les Romains sont contraints de céder la voie de communication passant par Krassó-Szörény.

Les données écrites et les sources archéologiques de l’époque sont unanimes pour confirmer que l’armée romaine, les familles des soldats ainsi que l’ensemble de la population civile, dont l’existence était étroitement liée à la présence de l’armée, furent évacués de la province au plus tard au début du règne d’Aurélien (271). La vie cessa dans les 48 castella romains de Transylvanie situés en un demi-cercle allant de la section du Danube du Banat au col de Vöröstorony, tout comme dans les sites (dits vici auxiliari) qui en relevaient, en tiraient leur subsistance. Les témoins en sont jusqu’à ce jour les camps eux-mêmes. Ceux dont l’aire d’habitation ne fut pas couverte de constructions au cours du Moyen Age hongrois offrent aujourd’hui, avec leurs remparts de terre saillants et leurs fossés profonds, la même image que les agri decumates de Baden-Württemberg abandonnés par Rome à cette même époque, ou encore les postes frontières du mur Antoninus, en Ecosse, antérieurement abandonnés. Ils sont «vides» à l’extérieur comme à l’intérieur, puisqu’à l’époque des grandes constructions du Bas-Empire, il n’y a trace de vie ni à l’intérieur, ni autour d’eux (Bereck, Tihó, Alsókosály, Vármezõ, Magyarigen et même Pozsgás, proche de la région du Bas-Danube!).

Quant aux quatre villes (municipium) qui se maintinrent le plus longtemps, à savoir Napoca (Kolozsvár), Potaissa (Torda), Apulum (Gyulafehérvár) et Ulpia Traiana (Várhely/Gredistye), il est permis de supposer qu’une population pauvre et peu nombreuse qui vivait à l’intérieur ou autour de leurs murs acceptait la servitude goth. Toutefois l’archéologie révèle une présence (quelques sépultures) qui n’excède pas la fin des années 200. Dans le même temps, les bâtiments des forteresses militaires qui s’élevaient à l’intérieur des murs de pierre ayant, par endroit, survécu jusqu’à l’époque moderne, tombèrent rapidement en ruines; à l’emplacement de la résidence du commandant de la légion de Potaissa, il y avait, déjà au tournant du IVe et du Ve siècles, la tombe d’un barbare de l’Est. Les foyers, villas, métairies des anciens représentants de la «romanisation» disparurent au point qu’en certains endroits, ainsi par exemple à Palatka, les Goths du IVe siècle n’hésitaient pas à y enterrer leurs morts.

La seule possibilité de survivre, pour une population présumée «romanisée», aurait été de se défendre en se retirant dans des forteresses et des sites fortifiés construits à la hâte dans les montagnes; c’est ce que dut faire une partie de la population vivant à l’intérieur de l’Empire, dans les Balkans aussi bien qu’au cśur de la Pannonie, sur les collines d’Eifel-Hunsrück, entre le Rhin et la Moselle et, plus à l’ouest, dans les Ardennes. Les conditions naturelles en étaient données en Dacie transylvaine également et elles étaient même plus favorables qu’ailleurs. Néanmoins on ne trouve, en Transylvanie, {f-69.} aucune trace d’un site, refuge ou cachette datant du Bas-Empire. L’ «autodéfense», si souvent alléguée, n’avait en réalité pas de bases concrètes.

Aucune source écrite de l’époque du Bas-Empire ou du Moyen Age ne fait mention d’une population romaine qui aurait «survécu» en Dacie transylvaine. Les noms des villes, agglomérations, places-fortes romaines de jadis se sont tous perdus et aucune langue, aucune source ne les a transmis au Moyen Age. Ce qui s’est conservé, ce sont des noms dont l’origine linguistique est inconnue et qui, pour les Romains eux-mêmes, constituaient un héritage préhistorique, tels que les appellations de quelques rivières, comme Temes, Maros, Körös, Szamos et Olt. C’est l’époque préromaine qui a légué à la postérité les noms des rivières Ampelus-Ompoly et Tierna-Cserna et, en ce qui concerne le nom de rivière Aranyos, qui est venu de l’iranien dans le hongrois, les mines d’or (aureus/arany) fournissent une explication évidente au nom hongrois, tout comme à sa variante slave (Zalatna, qui provient de zlato = or).

Le rite funéraire repéré dans le cimetière de Baráthely I, qui est considéré, même par son découvreur archéologue, comme l’unique représentant en Transylvanie de la culture du Bas-Empire, rappelle effectivement les sépultures dites à cendres dispersées, antérieurement connues en Dacie et attestées en Pannonie sous le règne de Probus (276-282). Cependant on y cherche en vain les mobiliers funéraires caractéristiques des vraies sépultures romaines (vases, lampes, monnaies). Ce qui caractérise les tombes de Baráthely, ce sont les offrandes expressément barbares consistant en viande. Dans quelques tombes on a retrouvé des fragments de vase et des fibules caractéristiques des sépultures à incinération de la civilisation barbare de Marosszentanna-Tcherniakhov. Des sépultures attestant le même rite sont fréquentes dans les cimetières cargo-goths de Moldavie (par exemple Dančeni, Etulia, Baltzata, Hansk-Luteria II.) L’habitat jouxtant le cimetière a livré des objets du type de Marosszentanna-Tcherniakhov (vases, peignes, bijoux), ce qui nous autorise à conclure que la population enterrée au cimetière de Baráthely était originaire du Barbaricum. Il est d’ailleurs peu probable qu’une communauté romaine fermée de «survivants» ait réussi à «se terrer» à proximité d’une des voies les plus fréquentées de Transylvanie (entre Medgyes et Segesvár).

Les vestiges des rites funéraires et du costume qui allaient ensemble dans le Bas-Empire, et notamment dans les provinces à partir de l’époque de la tétrarchie, sont absents sur la rive gauche du Danube.

Les fibules cruciformes à bouton d’oignon, «insignes de service» prescrits ou accordés par le pouvoir d’Etat romain à ses propres sujets, ont dû parvenir au Barbaricum en tant que partie du butin. On en a trouvé en quantité modeste chez les Quades germaniques, les Sarmates de la Grande Plaine hongroise, les Gépides de l’Est de la Plaine (Muszka), ainsi que chez les Goths de Transylvanie (Obrázsa, Lemhény, Vecel). Ces fibules cruciformes, et plus particulièrement celles provenant de Pannonie, de Mésie et même d’Italie dans le cours du XIXe siècle dans des collections privées et publiques de Transylvanie, n’apportent pas la preuve de la présence d’une population romaine homogène dans le Barbaricum. La thèse souvent avancée, selon laquelle seuls des habitants «romanisés» avaient la possibilité d’utiliser la monnaie romaine, est une absurdité, en contradiction flagrante avec la réalité humaine. La «circulation» des monnaies romaines, si l’on en croit les 271 mises au jour sur le territoire de la Transylvanie, ne diffère en rien du trafic de la monnaie «romaine» des autres régions du Barbaricum, telle la Grande Plaine ou la Plaine polonaise.

{f-70.} L’intermède carp

Les premières attaques réellement dangereuses vinrent du côté des Carps barbares qui habitaient la Moldavie actuelle. Même si, selon certaines sources antiques, l’empereur Philippe l’Arabe aurait écarté le danger au moment même de leur offensive (244-247), il réussit à protéger, en réalité, le seul limes de l’Olt (Limes Alutanus). Les plus récentes monnaies mises au jour comme trésor monétaire enfoui en Transylvanie (par exemple à Mezõviszolya et Mezõbánd, tous deux près de Septér); furent frappées en 247-49 par Philippe Ier et II et témoignent, encore que les sources écrites n’en fassent pas mention, d’une attaque réussie contre le Nord-Est de la Dacie.

A Septér, sur la limite nord-est du bassin de Mezõség, on a récemment mis au jour un cimetière d’urnes témoignant d’une culture archéologique jusqu’à ce jour inconnue en Transylvanie mais qui peut être mise en rapport avec les Carps de Moldavie (civilisation de Poieneşti). Les Carps ont dû pénétrer en Dacie par le col de Borgó et les urnes en forme d’amphore de Bözöd et de Medgyes qui correspondent, par leur forme, à celles de Septér, permettent de conclure que les Carps ont poussé, au sud-ouest, jusqu’à la vallée du NagyKüküllõ.

La pénétration des Carps ne doit pas être surestimée et plus particulièrement en ce qui concerne le chiffre de leur population. Dans l’unique – et en même temps le plus grand – cimetière, on a mis au jour 27 sépultures qui représentent la plupart des ensevelis. Le mobilier funéraire y est homogène et il s’agit des restes d’une seule génération qui vécut entre 250 et 290 environ. Parmi les vases et les bijoux des Carps, on en trouve plusieurs qui sont proches parents de ceux de la civilisation de Marosszentanna-Tcherniakhov, des Germains de l’Est. Des amphores «carpes» se rencontrent également dans la culture wisigoth, comme par exemple à Sepsiszentgyörgy-Eprestetõ ou à Baráthely, cependant que les plats, pots, tasses à anse, peignes, porte-aiguilles à ornement lissé de style goth sont fréquents dans les tombes de Septér. Ces contacts sont très importants puisque ce sont eux qui expliquent la couche la plus ancienne de la culture goth de Marosszentanna, en Transylvanie, celle qui est caractéristique, entre autres, précisément de Marosszentanna donnant son nom même à cette civilisation.

Après 290-300, on ne retrouve plus de vestiges carps en Dacie et aucune réponse n’est apportée à la question de savoir si ce peuple s’est rallié aux Carps établis en 295 en Pannonie ou bien s’il s’est fondu dans la masse des Goths.

Les Goths en Transylvanie

Les migrations et les campagnes des Goths, effectuées à partir de 235, ont été soigneusement étudiées par les historiens, et les recherches ont abouti à un résultat absolument homogène et ne faisant l’objet d’aucune controverse: à partir de 271, les territoires situés au nord du Bas-Danube (à l’ouest de Scythia Minor/Dobroudja) passent sous la domination des Goths et se nomment désormais, en langue gothique, Gutthiuda (du latin Gothia), la rive gauche du Danube devenant ripa gothica («rive gothe»). Après avoir occupé les régions voisines de la Dacie romaine, situées au-delà des Carpates, le peuple des Goths, jusque-là uni, se scinde. A lest du Dniestr, vivent les greuthungi = Goths de la grève, également appelés Ostrogoths (goth: austro = brillant, reluisant, mais aussi oriental), à l’ouest et au sud-ouest du Dniestr, {f-72.} les tervingi = Goths de la forêt, ou Wisigoths (goth: vezu/vizu = bon, brave, sage). Les dénominations goths en disent long: l’épithète «de la forêt» (sylvestre) ne pouvait être appliqué aux Goths vivant autrefois dans la région de la steppe du Pont qu’après qu’ils aient occupé la Transylvanie, pays de forêts et de montagnes.

 Les Goths en Dacie, 270-376/80

{f-71.} Carte 4. Les Goths en Dacie, 270-376/80
1 – les forteresses frontalières de Dacie avant l’évacuation 2 – les sites et cimetières des Tervingi-Wisigoths de la culture de Marosszentanna, 3 – population romaine présumée sous la domination des Goths, 4 – monnaies et trésors goths enfouis entre 376-380, 5 – Gépides avant la domination des Huns, 6 – monnaies d’or de Théodose à Honorius, 379-424, 7 – les trésors gépides cachés dans les années 420, 8 – territoire habité par les Goths, 9 – territoire habité par les Gépides dans le Nord et l’Est de la Plaine

Jusqu’à ces dernières années, personne n’a mis en doute que la Dacie transylvaine ait fait partie du pays des Goths. Ce n’est que depuis peu qu’on tente de contester, en se fondant sur des données historiques, l’occupation du bassin des Carpates (connues sous le nom goth de Caucaland = Hauhaland = pays des montagnes) par les Goths ou bien de la présenter comme un phénomène transitoire, épisodique.

En réalité, c’est justement aux Goths de Transylvanie, établis à l’intérieur de la chaîne des Carpates, que se réfère la source romaine officielle de l’époque qui dit que «Tervingi, pars alia Gothorum, adiuncta manu Taifalorum adversum Vandalos Gepidesque concurrant» (Panegyrici Latini III, 17, 1) = «l’autre groupe des Goths, les sylvestres (Tervingi), qui ont comme alliés les Taifals, a livré bataille aux Vandales et aux Gépides» (automne 291).*Panegyrici Latini III(XI)17,1. La tradition wisigothe, conservée dans l’Origo Gothica (Iordanes, Getica 98), révèle les causes de la guerre en question, à savoir que les belligérants s’affrontèrent pour la possession de l’ancienne Dacie romaine. Désireux de libérer son peuple de sa situation précaire, Fastida, roi des Gépides «prisonniers de montagnes sauvages et d’épaisses forêts»,*«… inclusum se montium queritans asperitate silvarumque», JORDANES, Getica 98. commença par proposer le partage pacifique de la Dacie. Sa proposition ayant été rejetée, il décida – non sans y être encouragé par les Romains – de passer à l’action, mais sans succès. Après la défaite, il se retira ad patria, dans son pays. Or, en dehors des Carpates, il n’existe aucune autre région où les Gépides auraient pu se trouver prisonniers de «montagnes sauvages».

Quant á leurs alliés vandales, ceux-ci ne pouvaient être que les Vandales Hasdings qui vivaient, depuis 120 ans, dans les vallées de la Haute-Tisza et de ses affluents. Les Vandales «Silingues» de Silésie, eux, ne peuvent entrer en ligne de compte comme participants actifs à ces événements géographiquement lointains. Le théâtre de la bataille, mentionné en langue gothe dans l’Origo Gothica (Auha = g. Ahwa, eau, rivière), ne pourra jamais être identifié, tandis que l’oppidum «Galtis» situé à sa proximité, renvoie à une ancienne ville romaine. Les tentatives visant à réduire cette guerre à une escarmouche insignifiante et sans grande visée au bord de la rivière Prut altèrent l’essentiel des sources: le nom des participants, leur établissement et leurs buts. En effet, le but de la guerre était la division de la Dacie et son théâtre, sans l’ombre d’un doute, était la Transylvanie.

 Fibules de bronze, boucles de ceinture et peignes d’os provenant du cimetière goth de Marosszentanna

Fig. 3. Fibules de bronze, boucles de ceinture et peignes d’os provenant du cimetière goth de Marosszentanna

Après avoir réussi à défendre la Dacie contre d’autres Germains orientaux qui parlaient une langue apparentée, rien n’empêcha les Wisigoths de s’installer dans la vallée des rivières Küküllõ, Kis-Szamos et Maros jusqu’à Micia (Vecel). Une des preuves historiques de leur établissement consiste dans le fait qu’ils lancèrent une attaque contre la Sarmatie de la plaine, alliée des Romains. Le 18 février 332, les Goths d’Ariaric subirent, sur le territoire de la région de Temes (actuel Banat), une défaite catastrophique infligée par l’armée romaine conduite par le fils de Constantin le Grand, le futur Constantin II, et venue secourir les Sarmates, en mauvaise posture. La défaite ne sembla {f-73.} pas décourager les Goths: quelques années plus tard (vers 355), conduits par le roi Geberic, ils chassèrent de la vallée du Maros l’armée du roi vandale Visumar. En fait, sur cette partie du Maros traversant la plaine, les Goths ne pouvaient défendre que la Gothie dacienne où ils étaient fermement implantés. C’est ce qu’atteste une source romaine contemporaine (vers 350) digne de {f-74.} confiance,*«Daciam … nunc Taifali, Victohali et Tervingi habent», EUTROPIUS, Breviarium ab urbe condita 8,2,2. c’est-à-dire: la Dacie est maintenant possédée par les Taifals, les Victofals et les Tervinges.

Assaillie par l’armée de l’empereur Valens, en 364 et 369, l’armée gothe du roi Athanaric se retira derrière les Serrorum montes (les Carpates du Sud-Est) puis, en 376, elle fuit devant les Huns en Caucalanda. L’occupation de la Dacie transylvaine par les Goths est, selon le témoignage des sources romaines contemporaines, un fait acquis qui ne demande pas à être prouvé. La littérature géographique des Ve et VIe siècles, lorsqu’elle traite de l’histoire des IIIe et IVe siècles, appelle uniformément la Dacie: Gothia. Ainsi Orose, au IVe siècle: «Dacia ubi est Gothia» – la Dacie est là où est maintenant la Gothia.*OROSIUS, Historiarum adversum paganos I, 54.

L’archéologie a pu identifier les Wisigoths pour la première fois vers 1906, à partir des matériaux retrouvés au cimetière de Marosszentanna. Le spécialiste qui joua un rôle décisif dans ce travail, Béla Pósta, professeur d’archéologie à Kolozsvár, a pu personnellement visiter, au cours de ses voyages d’étude en Russie, les cimetières alors découverts (mais encore non publiés) dans la province de Kiev (Tcherniakhov, Romachki), et reconnaître le premier leur surprenante parenté avec le cimetière de Transylvanie, ainsi que l’arrière-plan historique où cette parenté trouve son origine. Grâce aux travaux d’István Kovács, son élève, ses conclusions ont été généralement diffusées et reconnues, de sorte que la dénomination collective de la culture gothe-germanique orientale des IIIe et IVe siècles est aujourd’hui: civilisation de Tcherniakhov-Marosszentanna/Sîntana de Mureş.

Tout comme les Germains dans leur ensemble, les Goths de la haute époque impériale incinéraient leurs morts. Ce rite, qui caractérise leur ethnie et leur origine, survivait jusqu’aux IIIe et IVe siècles. Toutefois, sous l’influence de la civilisation méditerranéenne et du christianisme, la coutume de l’enterrement des morts se répandit de plus en plus et l’incinération se fit rare. En Transylvanie, on connaît quelques sépultures gothes à incinération qui représentent éventuellement la première génération des Goths établie sur les lieux (ainsi, par exemple, sur le territoire intérieur du castellum romain détruit de Sóvárad); néanmoins, l’incinération est attestée, à des moments beaucoup plus tardifs, entre autres à Marosszentanna, au cimetière éponyme.

De récentes recherches ont distingué, dans le cimetière de Marosszentanna, trois phases successives d’utilisation. Ces phases correspondent à trois générations au moins de la population du village goth qui a commencé à utiliser le cimetière (300-376). La première phase est caractérisée par un véritable dépôt de vases contenant des aliments pour l’au-delà. Des sépultures d’origine identique sont connues en Transylvanie, par exemple à Csombord, Rugonfalva, Marosvásárhely. Dans la seconde phase, la mode et les bijoux accusent certains changements (fibules, peignes, boucles de ceinture de forme nouvelle) et le mort n’a droit qu’à un ou tout au plus à deux vases. Des sépultures de ce genre ont été mises au jour en Transylvanie, à Palatka, Mezõakna, Kolozsvár. La troisième phase témoigne, les tombes étant orientées dans la direction ouest-est, de la diffusion du christianisme. Il arrive qu’elles sont superposées aux tombes de la première phase qui, elles, ne sont plus visibles. Les mains des morts sont souvent jointes, les aliments qui accompagnent les morts dans les sépultures païennes disparaissent. On a trouvé des sépultures de ce type à Újõs-Rét, Medgyes, etc.

 La fibule à plaque, la parure la plus caractéristique des Goths, en Transylvanie

Fig. 4. La fibule à plaque, la parure la plus caractéristique des Goths, en Transylvanie
(1 – Kolozsvár, 2 – Magyarpalatka, 3 – Vajdakamarás, 4 – Újõs-Rét, 5 – Mezõakna, 6 – Marosszentanna, 7 – Marosvásárhely, 8 – Gyergyótekerõpatak, 9 – Maroslekence, 10 – entre Baráthely et Ecel, 11 – Szászhermány)

{f-75.} Ornement du costume féminin des Goths et Germains de l’Est, la fibule dite «à plaque» qui retient la robe aux épaules ou sur la poitrine et constitue une variante plus tardive des fibules «à tête recourbée» n’apparaît que dans la deuxième phase. Des fibules de ce type se sont conservées chez les Wisigoths établis en Espagne. La répartition des fibules gothes en argent et en bronze, de forme hémycyclique, recouverte d’une plaque semi-ronde et d’une plaque pentagonale allongée reflète fort bien les lieux d’installation des Wisigoths en Transylvanie. Mais elle reflète aussi, malheureusement, le caractère accidentel des fouilles (Kolozsvár, Palatka, Vajdakamarás, Újõs-Rét, Mezõakna, Marosszentanna, Marosvásárhely, Tekerõpatak, Maroslekence, Baráthely et le site de Szászhermány). Chez les Ostrogoths de la plaine, les sépultures des femmes aisées se caractérisent par des fibules fort ressemblantes à celles-ci, tandis que les fibules à plaques des autres Visigoths, qui vivaient au-delà des Carpates (à Independenta, Spanţov, Izvorul, Alex. Odobescu, Tîrgşor, Leţcani et, tout récemment, elles ont été retrouvées en grand nombre à Bîrlad et à Mogoşani) correspondent entièrement à elles.

Que ces femmes fussent réellement d’origine gothe, cela ressort de l’inscription parfaitement lisible et compréhensible d’une fusaïole de Moldavie, tracée {f-76.} en écriture gothe runique. Des incisions runiques brèves se rencontrent également sur des fusaïoles de Valachie.

Non seulement les bijoux féminins sont uniformes mais, sur le territoire de la civilisation de Tcherniakhov-Marosszentanna, on constate la présence généralisée de certains accessoires du costume féminin, tels que les peignes en os au dos semi-circulaire ou à dos offrant un saillant arrondi, des types définis de pendentifs en os, bronze et argent et, dans le costume masculin, des boucles de ceinture et de sandales de forme particulière. La poterie gothe, qui perpétue certaines traditions celtiques tardives, tout en utilisant des techniques antiques, connaît elle aussi un développement uniforme. Ses productions caractéristiques dénotent à peu près les mêmes formes, les mêmes ornements et la même qualité technique, que ce soit au bord du Dniepr, du Dniestr, du Maros ou du Bas-Danube. Mais tandis que la poterie (et toute la civilisation matérielle) des Ostrogoths subit plutôt l’influence des villes gréco-romaines du Pont, celle des Wisigoths accuse une certaine ressemblance avec les productions artisanales des villes frontalières. Les influences et l’importation d’articles romains (verrerie, amphores, cruches en terre cuite) sont particulièrement nombreux dans la plaine qui s’étend au nord du Bas-Danube et se font plus rares à mesure qu’on monte vers le Nord. Les survivances de l’artisanat provincial romain antérieur aux Goths sont encore plus sporadiques: ainsi, la technique de cuire les vases spécialement en rouge ou jaune s’est perdue.

L’énorme majorité des vestiges archéologiques goths de Transylvanie ont été découverts, et publiés, essentiellement avant la Première guerre mondiale ou dans le second après-guerre immédiat, par des chercheurs hongrois et allemands de Transylvanie. Les fouilles méthodiques ont été suspendues en Transylvanie après la mise au jour d’environ 120 sépultures, alors qu’en Moldavie et en Valachie, le nombre des tombes fouillées et décrites est passé de 0 à 2000. Dans le même temps, un changement s’opéra aussi dans la conception des recherches: il y a de plus en plus de théories archéologiques qui mettent en doute la présence des Goths en Transylvanie ou tentent de la limiter à quelques cimetières soi-disant tardifs dans la région du Maros (Marosszentanna, Marosvásárhely, Mezõakna). D’autres rattachent les mêmes cimetières aux Goths d’Athanaric qui, dans leur fuite devant les Huns, cherchèrent après 376, un refuge temporaire en Transylvanie, ou encore à ceux de Radagaisus (?), vers 400. Par suite des recherches de grande envergure effectuées dans la plaine roumaine, même ceux des chercheurs qui reconnaissent la présence des Goths en Transylvanie après 271 ou 300 ont tendance à réduire à rien l’aire de la colonisation gothe en Dacie. Selon les théories les moins cohérentes, les Goths ne possédaient en Transylvanie que des cimetières et les agglomérations étaient habitées par une population romaine.

Les agglomérations gothes de Transylvanie ne se distinguent en rien, en réalité, de celles que l’on trouve sur l’ensemble du territoire de la civilisation de Tcherniakhov-Marosszentanna. Le fond de cabanes à une seule pièce était, en Transylvanie comme ailleurs, dans le sol – des maisons de ce genre n’existaient aux IIIe-IVe siècles même pas dans les villages les plus reculés de l’Empire romain –, leur toiture était soutenue par quatre ou six poteaux enfoncés dans le sol et elles ne comportaient pas de four bâti permanent. Comme les maisons nous ont livré les mêmes peignes, fibules, bijoux et fragments de poterie que les sépultures, leur appartenance à la même culture est évidente pour Bözöd-Lóc, Baráthely I, Segesvár-Szõlõk, Bögöz-Vizlok, Sepsiszentgyörgy-Eprestetõ, Szászhermány-Goldgrube, Székelykeresztúr, Réty-Telek, Brassó, etc. Un grand nombre de traces d’habitation ont été {f-77.} trouvées sur les sites de leurs habitats. Avec les cimetières et les tombes, celles-ci permettent de circonscrire avec une assez grande précision l’aire de l’établissement wisigoth en Transylvanie. Les 80 à 90 sites actuellement connus apportent la preuve que le territoire habité et mis en culture par les Romains s’est considérablement réduit par la suite. Sur l’aire des anciens camps, agglomérations, villas romains, on n’a guère trouvé de traces qui indiquent que les Goths y aient séjourné (par exemple Micia/Vecel, Bereck).

Les restes d’aliments (ossements d’animaux) placés dans les tombes ou mis au jour dans les agglomérations, la permanence des cimetières et le mode d’installation témoignent que – à la différence de leurs parents ostrogoths – les Wisigoths venus occuper la Transylvanie et la plaine située au nord du Bas-Danube étaient des paysans cultivateurs, observation confirmée par les écrits de Libanius, en 348-49 (Oratio 59, 89) et par le vocabulaire de la Bible tel qu’il apparaît dans la traduction de Vulfila. La traduction contient en effet presque tous les termes du labour, des semailles, de la moisson, ainsi que de la récolte et atteste l’existence d’un élevage sédentaire. L’ensemble des données archéologiques, linguistiques et historiques apportent un démenti à la thèse récemment formulée selon laquelle les Wisigoths vivant en Transylvanie et dans ses alentours constituaient un peuple de pâtres itinérants, voire «nomades», de grand bétail. Les termes goths attestant l’existence des métiers artisanaux villageois renvoient à une économie paysanne autarcique et l’ensemble des vestiges de l’artisanat wisigoth – poterie comprise – vient confirmer le caractère «barbare» de cet artisanat, même si l’on doit constater que, à l’instar de tous les autres peuples vivant du côté barbare du limes, cet artisanat ne pouvait rester, lui non plus, réfractaire à certaines influences de la civilisation romaine toute proche. En fait, les peuples germaniques étaient si fortement liés à l’Empire pour certains articles industriels et de luxe (vases en métal et en verre, tissus) et certains vivres (par exemple vin, huile) qu’«en temps de guerre, la suspension du trafic commercial provoquait un lourd manque d’articles nécessaires à la vie quotidienne».*AMMIANUS MARCELLINUS, Rerum gestarum libri 27,5. Ces produits, les Goths les échangeaient contre des esclaves: c’est le sort que l’empereur Aurélien chercha à épargner à la population de la Dacie en l’emmenant avec lui.

Des informations sur la société wisigothe nous sont fournies par les termes correspondants de la traduction de la Bible par Vulfila, ensuite par la Passio S. Sabae – les actes du martyr goth Saba –, et par quelques auteurs de la fin de l’Antiquité, essentiellement Ammien Marcellin, mais les noms goths provenant de cette époque et les matières archéologiques ne sont pas moins révélateurs.

Après l’occupation de la Dacie, les Tervinges sylvestres ne sont plus divisés en tribus (la notion goth thiuda = tribu dénomme déjà, aux IIIe et IVe siècles, l’ensemble du peuple wisigoth et de son territoire) avec, à la tête du pouvoir central (thiudinassus), au IVe siècle, un seul thiudans qui correspond au grec basileus. Le peuple wisigoth est constitué de clans et de familles (kůnja = phylai-pagi) avec, à leur tête, le kindins (dux, arkhón). Le territoire (garvi), qui correspond à un kunja, est habité par des grandes familles (sibja) mais, à quelques exceptions près, celles-ci ne sont plus liées entre elles par des rapports de consanguinité réelle. Un village (haims) était en général le lieu d’habitation d’un sibi; autrement dit, c’était le sibi qui constituait l’unité territoriale, économique et culturelle stable de cette époque. Le village, composé {f-78.} de familles patriarcales (fadreins), était administré par le conseil du village régenté, en pratique, par les anciens (sinistans). Il existait en outre des sortes de hameaux (weihsa).

A partir de l’époque des grandes campagnes et des conquêtes, le pouvoir effectif passa entre les mains des chefs militaires et de leur escorte. Le terme de reiks (basiliskos, regulus), titre du chef militaire est, à partir des IIIe et IVe siècles, souvent attesté dans les noms composés (Geberic, Aoric, Ariaric, Munderic, etc.), et notamment dans celui d’Athanaric, le chef wisigoth le plus prestigieux du siècle. Le titre iudex attribué à Athanaricus signifie, déjà en bas latin, gouverneur (lieutenant, chef suprême) et, vu son rôle, son activité et l’autorité dont il jouissait, il ne peut faire aucun doute que son épithète iudex potentissimus – le juge le plus puissant – est l’équivalent du thiudans goth. Les reiks s’appuyaient sur la couche des maistans (optimates-megistanes), c’est-à-dire des seigneurs des domaines et manoirs (gards), dont ils étaient eux-mêmes issus. Le pouvoir de cette couche s’appuyait sur une suite plus ou moins nombreuse, composée de guerriers professionnels. Au IVe siècle, la société des Wisigoths libres (freis) était déjà fortement articulée. A côté des pauvres, on trouve une couche nombreuse de serviteurs et d’esclaves.

Les découvertes archéologiques ne contiennent que rarement des objets appartenant à la couche des maistans; tel est par exemple le cas d’un torque en or, probablement un insigne du pouvoir (Szászbuda) et d’une fibule en or avec pierres précieuses provenant «ex Transilvania», un chef-d’śuvre de l’orfèvrerie gothe du IVe siècle. La société des villages apparaît bien plus explicitement à travers les cimetières villageois, tel celui de Marosszentanna. Les tombes et leur mobilier révèlent à peu près la même stratification que la société du village où vécut le martyr goth Saba. Dans une communauté de 50 à 100 personnes, il y avait 4 à 5 couples aisés qui devaient jouer un rôle déterminant dans le conseil du village. La majorité des sépultures sont celles de familles paysannes simples ayant le même rang social (waurstwja); les sépultures à rite fruste doivent indiquer des familles sans fortune (unleths); les sépultures pouvant être attribuées à des esclaves (skalks) sont peu nombreuses. Dans un trésor caché à Tekerõpatak, on a mis au jour des bijoux ayant appartenu à une femme distinguée d’un rang au-dessus de la société villageoise. Ils ressemblent aux bijoux des femmes riches des villages, mais sont faits en argent massif et leur propriétaire possédait également des monnaies romaines.

Les sources écrites, tout comme les trouvailles archéologiques, sont riches en renseignements sur la religion ancestrale des Goths. L’inscription runique gothe du trésor de Pietroasa (Pétrossa), découvert sur la limite de la Dacie transylvaine, contient les mots: Gutanī ō wīh hailag.

Jusqu’à ces derniers temps, l’historiographie a porté un jugement tout aussi sévère sur le christianisme des Goths d’avant 376 que les Romains qui furent surtout frappés par leurs prêtres et prêtresses aux costumes bizarres, par les sanctuaires des clans remplis d’insignes religieux barbares, par leurs grossiers idoles transportés en char ainsi que par la voiture sacrée tirée par des cerfs. Les tentatives de christianisation étaient, récemment encore, considérées comme des actions isolées ayant touché – et encore seulement de façon transitoire – les seuls prisonniers romains entraînés par des Goths, ou l’ancienne population romaine assujettie et, à la rigueur, les couches inférieures de la population gothe. L’archéologie se montre encore plus sévère: pour admettre l’évangélisation des Goths, elle recherche des preuves matérielles du christianisme dans les sépultures gothes alors qu’on sait qu’avant 376, des preuves de ce genre {f-79.} sont rarissimes même dans les provinces limitrophes de l’Empire. On les chercherait en vain certes, mais il faut tout de même noter que, dans de nombreux cimetières wisigoths postérieurs au milieu du IVe siècle (par ex. à Marosszentanna), les aliments et boissons déposés dans la tombe deviennent rares ou disparaissent complètement tandis que les tombes orientées vers l’est et les mains jointes des morts sont de plus en plus fréquemment attestées. Or, ce sont là les critères rituels du christianisme du IVe siècle également pratiqués dans les provinces romaines.

Entre 369 et 372, c’est par la persécution des chrétiens qu’Athanaric cherche à écarter la responsabilité et à détourner l’attention de l’échec militaire des «puissants» ayant essuyé, en 367 et 369, des défaites de la part des Romains. Une communauté chrétienne constituée de quelques prisonniers de guerre et de quelques paysans goths n’aurait certainement par mérité une campagne de plusieurs années qui dota et l’Eglise catholique et l’arianisme d’un grand nombre de martyrs de nom goth.

En fait, les différentes missions chrétiennes (catholiques, sectaires, ariennes) avaient déjà afflué à la suite de la paix imposée aux Goths après la victoire romaine de 332, sur le territoire occupé par les Goths. Selon le témoignage de la Bible de Vulfila, ce furent les Ariens qui édifièrent l’Eglise chrétienne de langue gothe avec le plus de succès. Au moment de la première persécution (347-348), on comptait déjà un nombre considérable de Goths christianisés et, à partir de cette époque, l’histoire du christianisme goth peut être suivie de façon continue jusqu’au martyre de Saba (372) ou jusqu’en 378, année où le chef christianisé Fritigern envoya un presbytie chrétien en mission auprès de l’empereur Valens. Les nouvelles recherches internationales approfondies ont abandonné l’idée ancienne que les Goths n’adoptèrent le christianisme arien qu’après 382 et seulement sur le territoire de l’Empire, et reconnaissent qu’en 376, la majorité des Goths qui pénétraient dans l’Empire étaient membres de l’Eglise chrétienne d’Arius.

Compte tenu de ce qui vient d’être dit, les quelques lampes à huile paléochrétiennes mises au jour sur le territoire de la Transylvanie, ainsi que le donarium (tablette votive) découvert en 1775 à Berethalom, portant l’inscription ZENOVIVS et muni d’un pendentif en forme de chrisme, ne peut être considéré comme la preuve d’une quelconque présence «romaine» en Transylvanie. Le donarium de Berethalom fut en réalité fabriqué quelque part en Illyrie à l’intention d’un aristocrate, pour faire ultérieurement partie, avec les vases de bronze qui l’accompagnaient, de l’équipement d’un prêtre envoyé en mission. Le sermon chrétien s’adressait à tous et sa pratique n’était nullement attachée, au IVe siècle, à une population romaine ou romanisée.

La débâcle

Après que les Huns eurent écrasé l’empire ostrogoth d’Ermanaric, ils se tournèrent contre les Wisigoths. Athanaric crut pouvoir rencontrer l’ennemi en se cantonnant dans une position retranchée au bord du Dniestr et songea même à s’assurer contre toute attaque inattendue par une avant-garde. Les Huns réussirent cependant, grâce à une brillante tactique nomade, à passer dans le dos de l’avant-garde, à franchir le fleuve dans l’obscurité et, à l’aube, ils lancèrent une attaque inattendue contre l’armée d’Athanaric qui ne put leur résister. Le résultat est connu: la majorité des Wisigoths conduits par Fritigern et Alavivus demanda asile (receptio) à l’empereur Valens, maître de la {f-80.} partie est de l’Empire (automne 376), tandis qu’Athanaric et sa suite se replièrent vers la Transylvanie, la Caucalandensis locus. A la fin de 380, Athanaric se vit toutefois contraint de se réfugier avec les siens sur le territoire de l’Empire d’Orient. C’est ainsi que se termina, en Transylvanie et sur l’ensemble du territoire de la Gothie, le règne des Wisigoths.

La catastrophe et le départ des Goths sont attestés par de nombreux trésors enfouis sous la terre, parmi lesquels deux grandes garnitures d’or, des barres d’or romaines marquées de sceaux d’Etat de 367-375 (à Kraszna), et de 376-380 (à Földvár). Nous avons mentionné plus haut le trésor constitué de bijoux en argent mis au jour à Tekerõpatak, daté par des monnaies d’argent et un solidus d’or de Gratien, de l’année 376. Circonstance d’une extrême importance: il contient des bijoux qui représentent les derniers types de monnaies découverts jusqu’ici dans les cimetières wisigoths. Entre 370 et 380, on a caché des trésors plus ou moins importants à Maroscsapó, Zernyest, Szamosújvár et Várhely. Le grand nombre de trésors mis en sûreté est le signe d’une catastrophe générale, et, comme en témoigne celui de Tekerõpatak, qui date de la même époque, les habitats et cimetières wisigoths cessent d’exister au même moment. La poussée des Huns a chassé l’ancienne population germanique, et cela non seulement sur l’ensemble du territoire roumain actuel. En effet, on voit se dépeupler dans le même temps le territoire de la Pologne d’aujourd’hui, habité par de nombreuses tribus germaniques, circonstance qui facilitera la grande migration des Slaves devant s’amorcer après l’époque hunnique.

Les Wisigoths détruisirent les forteresses, les villes et les villages de la Dacie romaine. Et, ce qui fut plus grave encore, ils laissèrent pendant les cent ans que dura leur règne, dépérir ce qui avait pu survivre aux guerres. (Les régions des mines d’or restent, pendant tout le haut Moyen Age, des forêts vierges inhabitées.) Les Goths ne surent que faire du mode de vie romaine, pas plus d’ailleurs que les Alamans qui, à la même époque, vinrent occuper les agri decumates et la Rhétie Occidentale, entre le Rhin, le Neckar et le Danube. L’étendue de cette terre, comprise entre les riches provinces rhénanes et danubiennes, n’était pas moindre que celle de la Dacie transylvaine effectivement occupée par les Romains. Après la conquête alamane, les forteresses et les agglomérations abandonnées sont envahies par la forêt; à la suite de quoi les Germains, qui cherchaient uniquement des terres cultivables et des pâturages, ne conservèrent pas leurs noms antiques. Le peu qui restait de la population «romaine» antérieure se fondit dans la masse des conquérants. Ce parallèle laisse supposer avec une grande vraisemblance le sort de la Dacie romaine.

Les Gépides avant la domination des Huns (269-424)

Les sources romaines qui parlent des assaillants de la Dacie mentionnent pour la première fois les Gépides en 269. Une preuve indirecte de leur arrivée dans le bassin des Carpates est la première attaque des groupes vandales qu’ils ont chassés, contre la Pannonie, dans la région d’Aquincum (automne 270). Ils avaient été devancés, dans l’occupation de la Dacie romaine, par les Wisigoths, et leur attaque contre ceux-ci, avant 291, appuyée par Maximien Ier – dont il a déjà été question plus haut – s’est soldée par un échec. Aussi furent-ils contraints d’établir leur territoire en dehors de la Dacie, sur le bord extérieur {f-81.} des montagnes qui limitaient l’ancienne province romaine au nord-ouest. Leurs vestiges archéologiques, d’un type entièrement nouveau (sépultures à squelettes avec certains éléments de la civilisation de Tcherniakhov, mais, à la différence des sépultures gothes, très riches en armes), sont de plus en plus explorés dans le Nord-Est de la Hongrie et le Nord-Ouest de la Roumanie. Il ne s’agit pas de la Dacie romaine et pas davantage de la Transylvanie historique mais de la zone nord-ouest de la Transylvanie actuelle. Le territoire occupé par les Wisigoths à l’intérieur de la Dacie romaine ne s’étendait que jusqu’à la rive droite du Kis-Szamos et ne se prolongeait au-delà de la rivière que dans la région de Kolozsvár. Le limes romain de Dacie se trouvait à quelque 70 kilomètres plus à l’ouest, sur les pentes intérieures du Mont Meszes; la zone intermédiaire constituait, pour les Goths, un «no man’s land».

Le premier pays des Gépides se situait dans les vallées des rivières Sebes-Körös, Berettyó, Ér, Kraszna, Túr et Bas-Szamos, au nord-ouest du Meszes, n’atteignait donc même pas la frontière de la Dacie romaine et s’était éloigné du territoire de la Transylvanie au sens géographique du terme. Cela n’empêche pas, curieusement, les archéologues et historiens de s’obstiner à identifier la Transylvanie actuelle à la Transylvanie historique et à la Dacie romaine et de toujours situer le territoire des Gépides en «Transylvanie».

Les célèbres trésors que les princes gépides avaient amassés en cent ans et qui furent cachés, au moment où les Huns apparurent dans le bassin des Carpates (424), au pied d’une montagne à Szilágysomlyó (trésor I et II découverts sur un seul petit lopin de terre) ne peuvent donc pas être attribués aux Wisigoths établis à 100 km de là, au-delà d’une haute chaîne de montagnes, ni, à plus forte raison, à un «chef local» romain ou dace. Les deux trésors ont été mis au jour en Gépidie, et signalent, avec le trésor du même genre (mais moins important) découvert à Gelénes, au bord de la Haute-Tisza, ainsi que celui mis au jour à Ormód/Brestovo, en Ukraine carpatique, un tournant historique. Les trésors de Szilágysomlyó et les vestiges trouvés dans cette région (Szilágyújlak: torque en or massif, Zilah: pendentif en or, Szilágysomlyó: sépulture d’un Gépide armé datant des années 400) permettent de conclure avec assez de vraisemblance que le centre de l’implantation gépide de la première époque se trouvait dans la région de Szilágysomlyó, ouverte vers les vallées des rivières Kraszna-Ér-Berettyó et protégée à l’est par de hautes montagnes. C’est quelque part dans cette contrée que périt la première dynastie gépide qui fut plus tard remplacée par Ardaric, roi désigné par les Huns et qui allait fonder la grande puissance gépide.