1. La préhistoire de la Transylvanie


Table des matières

Des débuts jusqu’au néolithique

La préhistoire pleine d’avatars du bassin transylvain ne saurait être étudiée indépendamment de celle des territoires limitrophes. Les bassins du Szamos, du Maros et de l’Olt ne cessèrent d’être traversés par des marchands et des peuples à la recherche de nouveaux espaces d’habitation. Les hommes attirés par les ressources minières de la région ne furent pas arrêtés par les montagnes, tandis que les monticules les plus insignifiants devinrent parfois de véritables frontières: les bassins de Csík et de Háromszék, séparés par le plateau de Hargita et les monts de Barót, aussi bien que le territoire nommé plus tard Barcaság et le plateau de Fogaras ont abrité, durant l’âge préhistorique, plusieurs civilisations distinctes. En raison du morcellement géographique et du flot incessant d’immigrants, rares furent les périodes d’unité culturelle et ethnique.

Bien qu’on ne puisse exclure la présence, sur ce territoire, de groupes humains dès le paléolithique inférieur, les premières traces certaines de la vie humaine en Transylvanie datent du paléolithique moyen. Un nombre considérable de paléoanthropes viennent s’établir, au début de la dernière période de glaciation, dans les cavernes de la région du cours moyen du Maros. Une partie des sites archéologiques qui y ont été mis au jour s’apparentent à ceux, antérieurs ou contemporains, des cavernes de l’ouest de la péninsule balkanique. Les instruments étaient exclusivement fabriqués de quartzite. Fait notable: tandis que les hommes de la civilisation charentienne d’un site de Hongrie s’employaient à la chasse des jeunes ours des cavernes, le cheval sauvage ne tardait pas à devenir l’animal le plus chassé dans la région de Hátszeg.

L’industrie de la civilisation de Charente s’est répandue, au-delà du Hátszeg, sur l’ensemble du territoire des Carpates du Sud, phénomène attesté en particulier par les sites retrouvés à Pestera dans le défilé de Törcsvár, et à Baia de Fier, sur le versant sud de cette même montagne. (Pour indiquer les sites et les civilisations, l’auteur se sert des dénominations employées dans la littérature archéologique internationale.)

La fin du paléolithique moyen voit l’apparition en Transylvanie de groupes humains qui utilisent des instruments travaillés aux deux bouts et éclatés sur leur surface entière. On les apparente généralement aux objets également à forme foliacée, fabriqués dans le cercle de rayonnement de la civilisation de Szeleta. Ces objets n’ont rien de commun avec ceux des industries locales {f-12.} antérieures: par contre, ils ont certainement contribué à la technique des pointes travaillées sur les deux côtes devant apparaître dans le Charentien supérieur.

Les traces de l’industrie aurignacienne ne s’y manifestent qu’à partir de sa phase avancée, notamment dans la deuxième période froide de la dernière glaciation. On connaît seulement les habitations troglodytiques provisoires des hommes de l’Aurignacien qui relayèrent peu à peu les chasseurs d’ours des cavernes munis des pointes foliacées de l’interglaciaire de Würm 1/2. L’innovation, certes éphémère, de l’aurignacien, la pointe d’os poli, ne figure pas parmi les instruments retrouvés (excepté la pointe de Baia de Fier, qui date de l’Aurignacien tardif). On a retrouvé, à Csoklovina, des pointes de feu des chasseurs d’ours des cavernes qui, comme l’atteste une voûte crânienne, appartenaient probablement à la race protonordique.

Dès l’époque de Würm 2/3, les chasseurs de mammouths et de rennes de la civilisation gravettienne orientale contournent pour ainsi dire la région limitée par les Carpates du Sud-Est. Seuls deux sites archéologiques proches de la source de la Dîmbovita indiquent l’établissement provisoire de ces chasseurs de la plaine dans des cavernes. Les vestiges de leurs ateliers de Szitabodza se trouvent à la frontière de la Transylvanie.

Après le déplacement du manteau de glace des Carpates, le bassin transylvain ne se peuple que très lentement. Les sites épigravettiens et tardenoisiens sont plutôt rares: on n’en trouve que quelques-uns, en particulier près du cours supérieur de la rivière Bodza. A côté de minuscules lames, pointes, grattoirs de lames et d’ongles de pouce, ils recèlent des instruments trapézoïdaux caractéristiques du Tardenoisien. Durant la même période, des hommes protoeuropoïdes romanelliens et aziliens domestiquent le chien et s’essayent très probablement à la culture des céréales et à l’élevage du porc.

Le progrès de ces peuples épipaléolithiques engagés sur la voie de la production de nourriture est brusquement arrêté par des immigrés venus des Balkans du Sud: le peuple de la civilisation de Starčevo–Körös. Par l’intermédiaire des Anatoliens, ceux-ci avaient, sur leur territoire d’habitation initial, fait l’apprentissage de la culture du froment et de l’avoine, de même que l’élevage des chèvres et des moutons. La culture du mil et la domestication des bovins sont sans doute le fruit de leur propre progrès.

Leurs établissements se situaient sur des cours d’eau, parfois même sur des terrasses fluviales. Appuyées sur des colonnes, leurs maisons se contruisaient de clayonnages recouverts de boue. Outre ces bâtiments, ils habitaient également des cabanes creusées dans le sol. Ils enterraient leurs morts dans leurs villages mêmes. Tandis que le peuple épipaléolithique, qui se rattache à la race de Crô-Magnon, couchait les défunts sur le dos, les hommes de la civilisation de Starčevo–Körös (des protoméditerranéens pour la plupart) les couchaient sur le côté, les jambes relevées, généralement sans mobiliers funéraires.

Le legs archéologique de ces sites témoigne de la production de nourriture permanente, mais avec des différences considérables d’un site à l’autre. Parfois, la proportion des animaux chassés et des animaux élevés est à peu près égale: ailleurs, la quantité de ces derniers est plus de six fois supérieure aux premiers. L’élevage des bovins prend le pas sur celui des moutons et des chèvres, domestiqués plus tôt, alors que les porcs se multiplient considérablement un peu partout. (Il est vrai qu’il existe également des sites où l’on n’élevait pas de porcs du tout.) Sur le plan de la nourriture végétale, les mêmes variations s’observent en ce qui concerne la cueillette et la culture. Bien que les pierres meulières retrouvées sur de nombreux sites de Transylvanie aient {f-13.} évidemment servi à moudre du grain, il ne s’agissait pas nécessairement de grains de blés. Les instruments de pierre sont rarement pourvus de lames en forme de faucille. Toujours est-il que le peuple de la civilisation de Starčevo–Körös se composait de communautés productrices de nourriture, même si la cueillette constituait un appoint non négligeable. De plus, il est à présumer que quelques groupes humains se spécialisèrent dans l’extraction de minerais, ce qui expliquerait leur installation dans les cavernes inhabitées depuis le pléistocène supérieur.

Le peuple de Starčevo–Körös a dû pénétrer en Transylvanie du côté du Banat. Leurs premières colonies ont laissé des traces sur l’emplacement actuel de la ville de Kolozsvár. Remontant le cours du Szamos, plusieurs groupes appartenant à ce peuple vinrent s’établir sur le territoire de la Hongrie. Ils se mêlaient aux peuples épipaléolithiques locaux, ce qui explique la présence, dans des sépultures mises au jour à Bácstorok, de dépouilles d’hommes et de femmes s’apparentant à la race alpine et de Crô-Magnon et enterrés dans et entre les maisons, conformément aux coutumes de l’époque.

Vers 5000 avant notre ère, d’autres groupes de ce peuple arrivèrent en Transylvanie en franchissant le Maros. Les traits caractéristiques de leur civilisation matérielle apparaissent dans plusieurs sites du Sud de la Grande Plaine hongroise. De tous les groupes humains de la Transylvanie de cette époque, ceux-ci nous sont le mieux connus. Ils utilisaient des vases grossièrement façonnés, fabriqués d’un mélange de glume, mais aussi des plats finement travaillés, engobés de rouge, ornés de taches blanches peintes, caractéristiques de la période précédente. Or la peinture est fort rare en Transylvanie, de même que dans le Sud de la Grande Plaine hongroise. Une autre exception est constituée par le site de Lécfalva où l’on a remis au jour des poteries multicolores. Leurs traces les plus anciennes ont été retrouvées à Szászhermány et dont la couche la plus profonde témoigne de relations très étroites avec les territoires de la Bulgarie, tandis que la fin de leur histoire coïncide à peu près avec la dernière phase de la civilisation de Starčevo–Körös.

Au sortir d’une période très courte de transition, le néolithique moyen voit la fin de l’unité qui caractérisait le néolithique inférieur. Affluant pour ainsi dire de toutes les directions, de nouveaux groupes humains viennent alors s’installer en Transylvanie. Le peuple de la civilisation de Vinča–Tordos s’établit sur le cours moyen du Maros, entre les Carpates de l’Est et les Monts Métalliques, et jusqu’au plateau de Fogaras, à l’Est. Venus de Moldavie, des hommes fabriquant des objets en céramique ornés de lignes occupent le Sud-Est allant jusqu’à l’actuel Mezõség, au nord-ouest. Répandu sur la Grande Plaine du Sud-Est, le groupe de Szakálhát laisse son empreinte le long du cours du Szamos; un peu plus au nord, ce sont des groupes apparentés aux populations du Nord-Est de la Grande Plaine qui pratiquaient l’art de la céramique peinte.

Les conditions démographiques du néolithique moyen déterminent pour une très longue période (jusqu’à la fin de l’âge du cuivre) l’histoire transylvaine. C’est justement le peuple le mieux connu de nous, celui de la civilisation de Vinča–Tordos, qui quitte alors la plupart de ses habitations en Transylvanie. Ce n’est pas qu’un pur hasard si le peuple qui occupait antérieurement les territoires du centre de la péninsule balkanique s’établit dans les environs des Monts Métalliques; en effet, on y a retrouvé des instruments de cuivre provenant des époques les plus reculées, et les gisements d’or de Zalatna, à sa proximité, sont depuis très longtemps exploités.

{f-14.} Les tablettes pictographiques mises au jour à Tărtăria, en 1961, méritent une attention toute particulière en raison de leur étonnante ressemblance avec des tablettes protoélamites et protosumériennes. Or, les rapports directs entre ces deux territoires sont à peine justifiables puisque, outre la distance géographique, un intervalle de 1000 ans sépare le legs transylvain de celui de Mésopotamie. D’autre part, comme chacun sait, bien des écritures linéaires et géométriques des époques antérieures sont analogues sans qu’il y ait eu pour autant de contacts effectifs entre les peuples qui les pratiquaient. Cependant, les tablettes de Tărtăria – étant donné qu’elles portent sans aucun doute des écritures – ont permis de considérer comme des graphies une partie des signes tracés sur les objets d’argile de la civilisation de Vinča–Tordos, conformément aux hypothèses déjà avancées. Cela nous amène à conclure que – fait très significatif – les peuples établis sur le Maros tentèrent, vers 4000 avant notre ère, l’écriture. On doit en même temps supposer l’existence, sur ce territoire, d’un Etat aux structures très rudimentaires s’appuyant sur un certain nombre de lieux de culte aussi bien que sur une répartition du travail entre les communautés humaines. Cette évolution fut la conséquence logique du fait que certains groupes qui exploitaient les gisements métallifères de la région ne pouvaient se suffire à eux-mêmes et devaient recourir aux produits agricoles provenant d’autres peuples.

 Les tablettes de terre cuite de Alsótatárlaka (Tărtăria)


Fig. 1. Les tablettes de terre cuite de Alsótatárlaka (Tărtăria)

Or la tentative de créer en Transylvanie une société fondée sur la répartition des biens par une action centrale devait échouer: de nouvelles migrations massives arrêtèrent cette évolution. Dans le Sud-Est, le territoire du peuple de la céramique rubanée qui pratiquait une culture céréalière et un élevage très primitifs (la proportion des animaux chassés était au moins de l’ordre de 50 {f-15.} pour 100), fut envahi par les éleveurs de bovins, de moutons et de chèvres de la civilisation de Boïan, venus de Moldavie et de Munténie de l’Est. Certains groupes peu nombreux se déplacèrent de la région de l’Olt sur le cours moyen du Maros, où leurs énormes pots et plats ornés de triangles gravés et de faisceaux de lignes incisées apparurent bientôt dans les colonies de la civilisation de Vinča–Tordos.

Le véritable tournant est cependant constitué par le déplacement des groupes à la céramique peinte de la région du Szamos (Transylvanie du Nord) le long du cours du Maros. Leurs poteries ornées de peinture rouge ou parfois noire sur un fond blanc ou orange se retrouvent déjà sporadiquement dans les couches supérieures des sites de Vinča–Tordos, ce qui permet de supposer une fusion partielle des nouveaux venus avec la population locale. Or, étant donné que les vestiges provenant des époques ultérieures ne témoignent guère d’un mélange de peuples, il est fort probable que la plupart des hommes de la civilisation de Vinča–Tordos avaient quitté leur territoire.

L’âge du cuivre

Ainsi, pour un temps assez bref, au tournant du néolithique moyen et du néolithique supérieur, la plus grande partie de la Transylvanie est habitée par une population homogène; seule les hauts plateaux de la Transylvanie du Sud sont occupés par le peuple de la civilisation de Boïan. Formées des groupes à la céramique peinte, les communautés de la civilisation de Petreşti occuperont pendant très longtemps la Transylvanie du Sud, mais aussi une partie du Centre. La possession des mines de métal leur permet de nouer des contacts avec les habitants de territoires très éloignés (Munténie et Dobroudja), et probablement aussi avec la population de contrées situées encore plus au sud. Leurs poteries sont tellement cuites qu’elles sonnent comme des métaux lorsqu’on les frappe; elles sont ornées de méandres et de spirales peints en noir, rouge et brun. Leurs plats, vases à épaules et supports cylindriques de pots témoignent, sur le plan technologique, de la connaissance de certaines opérations de fonderie, ce que confirme le legs d’objets de cuivre. Leurs bijoux en or (et les imitations), parvenus aussi dans le Sud jusqu’en Bulgarie et en Grèce, et dans le Nord jusqu’au bassin de Kassa, témoignent de l’exploitation ininterrompue des gisements d’or.

Les progrès de la civilisation de Petreşti se poursuivirent jusqu’à la fin de l’âge du cuivre, mais sur le seul territoire occupé antérieurement par le peuple de Vinča–Tordos. Les territoires des groupes de la céramique peinte de la région du Szamos furent envahis par des cavaliers protoeuropoïdes éleveurs de bovins et de chevaux, qui venaient de la steppe du Pont via les Carpates de l’Est. Ils possédèrent bientôt tous les établissements du peuple de la céramique peinte. Contrairement aux coutumes de l’époque néolithique, ils enterraient leurs morts dans des cimetières situés loin de leurs habitations, ce dont témoigne, entre autres, le cimetière mis au jour à Marosdécse. Ils couchaient les défunts sur le dos, les jambes légèrement relevées; on trouve près d’eux de longs couteaux de pierre du Pont, des massues de pierre à tête noueuse et des bols rudimentaires. L’influence de l’Orient est attestée par la présence de l’ocre ensevelie auprès des corps.

A la même époque, le peuple de la civilisation de Boïan dut céder son territoire (Transylvanie du Sud-Est) à celui de la civilisation de Cucuteni–Tripolje {f-16.} (Cucuteni–Erõsd). Ces migrations entraînèrent, dans la partie orientale du bassin carpatique, le renouvellement continuel de la population et, par suite du brassage des populations, la continuelle transformation de la culture matérielle et des conditions de vie.

Né de cette fusion ethnique, le peuple de la civilisation de Tiszapolgár s’établit dans la région de la Tisza, dans le Nord de la Transylvanie, et dans le Banat. Certains groupes s’aventurent cependant jusqu’au Sud transylvain, tandis que d’autres, partis du Banat, remontent le cours moyen du Maros. Les habitations de huttes rudimentaires de ce peuple de cultivateurs et d’éleveurs de bovins et de chevaux d’une part, aussi bien que les villages des hommes de Cucuteni–Tripolje, de l’autre, entouraient celles de la civilisation de Petreşti, dont le peuple continuait, malgré tous ces avatars, à vivre sa vie paisible, vraisemblablement du fait que les populations environnantes avaient besoin de la compétence de ces métallurgistes.

C’est grâce à ses nouveaux voisins, aux hommes de Petreşti, que le peuple de Cucuteni–Tripolje fit l’apprentissage de l’art de la peinture de poteries. Leurs pots ornés de deux ou de trois couleurs différentes (noire, blanche et rouge) appliquées sur ces objets avant même la cuisson sont particulièrement abondants dans les couches situées à plus de quatre mètres de profondeur qui ont été mises au jour dans le site d’Erõsd-Tyiszkhegy. Celle-ci comprenait essentiellement des maisons à structure de poteaux et de clayonnages recouverts d’une boue épaisse et abritant des foyers d’argile à rebords. Les habitants vivaient, pour une part, déjà de la culture, plus particulièrement de celle du froment planté en lignes. Malgré l’élevage très répandu des bovins, la plus grande partie de la viande provenait de la chasse. La plupart de leurs instruments (des haches et des ramures de cerfs transformées en houes) étaient fabriqués de pierres et d’os; seules les alènes et les parures étaient en cuivre. Leurs minuscules statuettes d’argile et leurs sceaux d’argile, qui servaient à la peinture du corps, nous renseignent sur leurs rites et leur organisation par lignages.

Le peuple de Cucuteni–Tripolje parvint, au nord, jusqu’au cours supérieur du Maros, où il s’établit dans le voisinage de celui de la civilisation de Tiszapolgár. Le territoire de ce dernier fut plus tard envahi par les hommes de la civilisation de Bodrogkeresztúr, qui s’installèrent parfois dans les villages mêmes des occupés. Comme les conditions de la culture céréalière et de l’élevage intensifs étaient beaucoup plus favorables dans le Banat et la Grande Plaine hongroise, leur établissement partiel en Transylvanie ne saurait s’expliquer autrement que par leur intérêt pour les gisements de métaux. Fait caractéristique à cet égard: à mesure qu’on s’approche (à partir de la Transylvanie) du centre de l’aire de la civilisation de Bodrogkeresztúr, on constate une multiplication des objets de cuivre. Les mines de cuivre permettent la fabrication de marteaux d’arme, de cognées, de piCs à tranchants opposés qui se répandent sur toute l’étendue de la Grande Plaine. Les cimetières de la région de la Tisza recèlent en outre un grand nombre de bijoux en or. Ces objets en or sont extrêmement rares en Transylvanie même: la seule pièce que nous connaissions provient d’un site de la civilisation de Bodrogkeresztúr près de Marosvásárhely.

Par ailleurs, les traces transylvaines de cette civilisation ne diffèrent guère de celles de la Grande Plaine. Dans leurs sépultures, les corps couchés sur le côté, les jambes relevées, sont entourés de vases à deux anses (dits des «pots à lait»), de récipients en forme de pots de fleurs et de bols. Leurs villages se composaient de maisons bâties à même le sol; un de leurs groupes, installé au {f-17.} milieu du peuple de Cucuteni–Tripolje, érigea même de petites maisons d’argile à plancher sur poutres.

Avec l’arrivée du peuple de la civilisation de Bodrogkeresztúr dans le bassin de Háromszék, la Transylvanie connaît le début d’un processus d’intégration tout particulier. Les vestiges qui proviennent des confins de l’Est du Mezõség témoignent de la fusion des peuples des civilisations de Bodrogkeresztúr, de Petreşti et de Cucuteni–Tripolje, tandis que, dans la région du cours moyen du Maros, les hommes de Bodrogkeresztúr se mêlent à ceux de Petreşti. Ce processus finit par aboutir à la formation d’une civilisation matérielle qui constituera l’héritage commun des peuples de l’Olténie et de la Transylvanie du Sud-Ouest.

Quelques groupes humains issus de ce brassage de populations vont s’établir dans la Grande Plaine hongroise; d’autres – sans doute en suivant le cours du Szamos – arrivent en Subcarpatie et en Slovaquie de l’Est.

Les hommes de Băile Herculane–Cheile Turzii (Herkulesfürdõ–Tordai hasadék) s’installent souvent dans des grottes. Or ce n’est guère de leur propre gré que ce peuple de cultivateurs, d’éléveurs, de mineurs et de marchands vient s’abriter dans des cavernes mornes et peu confortables, éloignées de tous et de tout. C’est qu’à cette époque, les troupeaux de pasteurs venus des steppes de l’Est paissent déjà dans les plaines de Valachie et de Moldavie. Pénétrant par les Carpates, ces guerriers détruisent les communautés locales qui s’enfuient dans les montagnes, dans les cavernes ou dans des régions lointaines. Ceux qui restent doivent essayer, dans une certaine mesure, de cohabiter avec la première vague des nouveaux venus, jusqu’à ce que l’afflux incessant de ces pasteurs ne les chasse finalement même des montagnes.

Ces transformations marquent, une fois de plus, l’arrivée d’une nouvelle période dans l’histoire de la Transylvanie, mais aussi dans celle de toute l’Europe centrale et orientale. Sur le Bas-Danube, les hommes de l’Est fusionnent avec les populations locales, à qui se mêlent encore des groupes venus des Balkans du Sud, peut-être d’Anatolie. Le peuple ainsi formé, celui de la civilisation de Cernavoda III, pénètre lui aussi dans la région du Maros. Leur cheptel comprend essentiellement des moutons, des chèvres, des porcs, des chevaux et des bovins. Parmi les os de bovins retrouvés, ceux de vieux mâles sont majoritaires, ce qui témoigne du nombre très élevé des bśufs, et, par conséquent, de l’emploi de charrues (araires ou charrues fabriqués de ramures).

Après ce démarrage difficile, l’essor trouve cependant vite son terme. Vers 2000 une nouvelle vague de migrations aboutit au renouvellement de la population transylvaine: des groupes pastoraux quittent la Macédoine et la chaîne des Balkans pour venir s’établir dans la région des Carpates du Sud-Est. C’est le peuple de la civilisation de Coţofeni-Kolozskorpád. Ils s’installent un peu partout, depuis les plateaux jusqu’aux pâturages longeant les cours d’eau, voire dans les cavernes des montagnes. Ils sont les premiers, en Transylvanie, à pratiquer l’incinération des morts; toutefois, on trouve encore des squelettes dans les sépultures de la première période. Ceux-ci sont parsemés d’ocre rouge, ce qui tient ou bien à des coutumes empruntées à leurs voisins orientaux, ou bien à la survivance de traditions conservées par un peuple originaire d’Europe orientale. Leurs agglomérations, situées les unes près des autres, et les abords de celles-ci sont très caractéristiques du mode de vie de ce peuple pastoral semi-nomade.

Quoique ce peuple soit originaire d’un environnement naturel presque parfaitement identique à celui de la civilisation de Cernavoda III, ses poteries {f-18.} sont néanmoins toutes différentes. Leurs vases à anses à puiser très cambrées et à bec tordu, leurs bols pansus, leurs urnes et leurs ascos ne sont couverts, durant la première période, que de courtes lignes creusées ou de rayures (les mêmes motifs de décoration et quelques pots de forme analogue sont également utilisés par le peuple de Cernavoda III), qui seront plus tard agrémentées d’ornements en forme de lentilles. Notons également l’apparition de lignes piquées servant à fixer le remplissage de chaux, surtout en territoire transylvain.

L’époque de la civilisation de Coţofeni II–Kolozskorpád voit l’intrusion en Transylvanie du Sud de tribus pastorales originaires de régions situées au-delà des Carpates. Partis du bassin de Háromszék et de l’emplacement de l’actuelle ville de Brassó, les hommes de Folteşti III–Zăbala avancent jusqu’à la région du cours moyen du Maros. Leurs établissements ne nous sont guère connus. Ils inhumaient leurs morts les jambes relevées et couchés sur le côté, tantôt dans de simples fosses, tantôt dans des caisses de pierre recouvertes de tertres. Comme leur legs archéologique se mêle parfois à celui des hommes de Coţofeni, l’éventualité de la fusion, ici et là, de ces deux peuples n’est pas exclue.

L’âge du bronze

Vers le milieu du premier âge du bronze, le territoire des hommes de Folteşti III–Zăbala est occupé, en Transylvanie du Sud (et dans toute la Valachie), par des immigrés appartenant à la civilisation de Glina III–Schneckenberg, qui construisent leurs villages sur des élévations. Ils élèvent surtout des moutons et utilisent des charrues de ramures pour labourer la terre.

Un modèle de charrette en argile retrouvé à Kucsuláta atteste les débuts de l’emploi d’attelages. Outre les couteaux courbés et les marteaux d’arme de pierre, les instruments de cuivre sont rares: seuls quelques alénes et ciseaux, parfois aussi des doloires (sortes de cognées plates), des cognées et des poignards ont pu être mis au jour lors des fouilles. Leurs poteries grossières sont faites d’un mélange de sable et de coquilles broyées en poudre. Leurs bols à anse simple ou double, de même que leurs minuscules tasses à anse ont la surface lisse et luisante. Dans les sépultures, il est rare de trouver des objets auprès des morts couchés sur le côté dans des caisses de pierre.

Tandis que la région de l’Olt est occupée par le peuple de Glina III–Schneckenberg, le reste de la Transylvanie continue à être habité par les hommes de Coţofeni. L’ornement le plus fréquent de cette période tardive est la piqûre des rainures dessinées sur les poteries, alors qu’on assiste au recul, voire à la disparition totale des motifs en forme de lentilles. Munies de foyers et de fours, les maisons en clayonnages recouverts de boue de Kelnek, à la suite du changement du mode de vie, comprennent déjà deux pièces. Il y a un lien logique incontestable entre l’installation de longue durée du peuple de la civilisation de Cîlnic et la concentration massive de leurs habitations dans les environs des Monts Métalliques. Les haches de cuivre dites de type oriental, utilisées dès l’époque de la civilisation de Cernavoda III, abondent dans cette région. Bien que cette arme, répandue dans toute l’Europe centrale et orientale, n’ait pas été uniquement fabriquée sur le territoire de la civilisation de Cîlnic, le fait qu’un legs antérieur de 40 haches proviennent du site de Bányabükk n’en est pas moins significatif.

Au tournant du premier âge du bronze et du bronze moyen, des groupes {f-19.} humains venus de Moldavie immigrent dans le bassin de Háromszék. C’est le peuple de la civilisation de Ciomortan, apparenté à celui de Monteoru et de Costişa. Ces nouveaux arrivés renforcent de remparts leurs habitations établies sur la «Colline du Château» de Csíkcsomortány. Leurs sépultures contiennent quelques cruches à double anse, pots pansus et tasses auprès des corps couchés sur le côté, les jambes relevées.

Certaines de leurs habitations fortifiées ne devaient pas subsister très longtemps. Incapables d’arrêter l’afflux des groupes du peuple de Monteoru, ils se virent contraints de se déplacer vers l’Ouest de la Transylvanie. Le motif caractéristique de triangles incisés, les lignes parallèles formées de piqûres et les bols à orifice large apparaîtront plus tard, dans la civilisation de Wietenberg.

Cette civilisation dont l’héritage est le plus important parmi ceux provenant de l’âge du bronze moyen, a parsemé de ses vestiges tout le bassin entouré de montagnes. Or les traces les plus anciennes de la vie matérielle du peuple de Wietenberg ont été retrouvées dans le Nord, voire en dehors de la Transylvanie. Les matériaux trouvés ici s’apparentent, par nombre de leurs traits, à ceux de la civilisation d’Ottomány de la région située au-delà de la Tisza, qui datent du premier âge du bronze; l’influence des peuples de Ciomortan et de Tei ne se manifeste que plus tard. Les hommes d’Ottomány incinéraient leurs morts, de même que la population transylvaine de l’âge du bronze moyen, dont les voisins pratiquaient l’inhumation, que ce soit dans la Grande Plaine ou en dehors du bassin carpatique. Il semble qu’au début de l’âge du bronze moyen, le peuple de la région située au-delà de la Tisza ait pénétré en Transylvanie (ce dont témoignent les sites de Dés et de Bágyon près de la rivière Aranyos), pour s’y mêler à celui de Ciomortan et, plus au Sud, à celui de Tei.

Le peuple de la civilisation de Wietenberg finit par occuper l’ensemble de la Transylvanie, à l’exception des territoires situés au-delà des monts de Hargita: le bassin de Háromszék est occupé par le peuple de Monteoru, qui déloge les hommes de Ciomortan.

Les hommes de Wietenberg parsemèrent de leurs établissements les terrasses fluviales, plateaux et sommets faciles à défendre. Leurs constructions étaient pour la plupart des maisons à support ou à madrier auxquelles s’ajoutaient encore quelques cabanes enfoncées dans le sol. Curieusement, leur legs contient peu d’objets relatifs à la culture des terres, tandis que la part de la chasse et de l’élevage (en particulier celui des bovins) semble avoir été très importante dans leur «économie». Possesseurs exclusifs des mines de Transylvanie, ils troquaient sans doute leurs produits d’or et de cuivre contre le blé de leurs voisins.

Les fouilles effectuées sur leur territoire ont mis au jour tous les types d’objets de bronze et de cuivre courants en Europe centrale et orientale, mais ceux-ci provenaient très rarement de trésors enfouis. Or les sites contenant des trésors constituent pour ainsi dire un cercle qui épouse la ligne de leurs frontières. Ainsi – et sans doute également en raison de leurs «citadelles» – on doit supposer chez eux une aristocratie guerrière numériquement très forte. Outre leurs haches de type oriental et pics à panne en forme de disque de bronze, ils utilisaient de longues épées rappelant celles des Achéens de Mycènes. Or le combat à longue épée constitue un fait insolite en Transylvanie. Il est également frappant que, contrairement aux territoires limitrophes, la Transylvanie ne nous fournit aucun indice permettant de conclure que ces hommes se déplaçaient à cheval.

{f-20.} Comme la civilisation de Wietenberg présente encore d’autres traits analogues à celle de Mycènes, il n’est pas exclu que la population transylvaine des XIVe-XVe siècles avant notre ère ait été sous la domination de guerriers venus du Sud. Cette aristocratie s’est considérablement enrichie par l’exploitation de plus en plus intensive des mines et le commerce des produits de métal. Ces objets métalliques apparaissent le plus souvent à l’extérieur du territoire de la civilisation de Wietenberg, où les marchands furent sans doute dévalisés par des étrangers avides de trésors. Ainsi, on enfouit dans le sol toute une livraison de haches d’or, de disques d’or et de bijoux à Cófalva (territoire de la civilisation de Monteoru), ainsi qu’une quantité importante d’épées et de poignards en or, qui appartenaient aux hommes de Tei, à Perşinari, en Munténie. Les trésors recélés par d’autres sites ont vraisemblablement une origine identique.

Le bien-être dû à l’abondance en or se manifeste dans toutes les sphères de la vie quotidienne. Les femmes libérées du labour de la terre façonnaient à domicile des objets richement ornés, dont subsistent seulement quelques pots d’argile. Par des incisions, des cachetages et des piqûres, elles traçaient des méandres et des spirales sur leurs pots sphériques, plats et tasses ansées. Elles fabriquaient également des ascos, des pots mélangeurs à plusieurs orifices et des modèles de chariots pour leurs rites de plus en plus diversifiés. Leurs édifices de culte abritaient également des foyers sacrés ornés, dont témoigne en particulier le site éponyme de Wietenberg, près de Segesvár.

Vers la fin du XIVe siècle avant notre ère, des tribus de pasteurs d’Europe centrale envahissent le bassin carpatique. Les migrations de peuples se succèdent en chaîne et ébranlent, directement ou indirectement, les assises économiques de la vie des forgerons, marchands et guerriers transylvains. Sur leurs routes familières, par lesquelles ces derniers ont jusque-là transporté leurs marchandises, vagabondent maintenant des hommes encore jamais vus. Il y a également quelques groupes de fugitifs qui pénètrent en Transylvanie où la population locale doit enfouir ses trésors dans le sol.

Le peuple de la civilisation des tumulus qui suit ces fugitifs le long du Maros prend possession du Sud transylvain: les sites des environs de Szeben, de Mezõség et de la région située au-delà des monts de Hargita témoignent de leur passage. Ils s’allient aux émigrés de la Grande Plaine pour occuper eux aussi le Sud-Ouest. Une partie du peuple de la civilisation de Wietenberg va alors s’établir dans les montagnes pour y fonder des habitations rupestres, tandis que la plupart se dirigent vers le Nord. Là, près du Szamos, dans le Máramaros et en Subcarpatie, ils se joignent au peuple de la civilisation de Gyulavarsánd pour se défendre en commun contre les incursions successives des hommes de la civilisation des tumulus et des peuplades que ceux-ci ont assimilées.

Par suite de l’absence de structures consolidées et d’unité ethnique et territoriale stable, la Transylvanie devient, dans la première phase du dernier âge du bronze, la proie facile des pasteurs venus des steppes orientales. Cette migration n’est pas attestée par des trésors enfouis parce que, selon toute probabilité, la population locale n’avait pas grand-chose à cacher. Les nouveaux occupants qui pénètrent par les défilés des Carpates, les hommes de la civilisation de Noua, avancent jusqu’au cours moyen du Szamos au nord, et jusqu’aux Mots Métalliques à l’ouest.

Malheureusement, les établissements transylvains de ces éleveurs de bovins et de moutons sont relativement peu connus, car ils érigaient sans doute des {f-21.} bâtiments de structure légère en bois, semblables à ceux de Moldavie. Ils pratiquaient simultanément l’inhumation et l’incinération; dans le premier cas, ils couchaient eux aussi leurs morts sur le côté, les jambes relevées. La plupart de leurs pots ornés de nervures et de leurs bols à double anse très simples étaient fabriqués par des hommes de la civilisation de Monteoru, qu’ils avaient assimilés. Leurs pointes de flèche en os à trois tranchants, les os à trois trous rattachant la bride au mors, leurs aiguilles de bronze à col noduleux, leurs faucilles à manche crochu ont tous des origines très lointaines ils remontent au peuple oriental de la civilisation de Sabatinovka, jadis établi entre le Dniestr et le Dniepr. Ces Protoeuropoïdes (à côté des types anthropologiques alpines et méditerranéens qui apparurent eux aussi en Transylvanie) parlaient sans doute l’iranien ancien; ainsi l’établissement du peuple de la civilisation de Noua dans le bassin carpatique marque la présence des premiers Iraniens dans la région.

Vers le début du premier millénaire avant notre ère, la population de la Transylvanie et de la région du Szamos et de la Tisza se voit contrainte d’enfouir ses trésors. La grande majorité du peuple de Noua, afin d’éviter l’esclavage, s’enfuit vers l’Est.

Les nouveaux conquérants, les hommes de la civilisation de Gáva, prennent progressivement possession des rives de la rivière Küküllõ, de la vallée de l’Olt, du plateau de Mezõség et de la région du Szamos. Certaines de leurs habitations sont renforcées d’ouvrages de défense; ils habitent des maisons à support ou à trainoir, mais parfois également des huttes à plan ovale ou rectangulaire, avec foyer de torchis au milieu. Ils élèvent surtout des bovins et des chevaux. Malgré le nombre très élevé des faucilles de bronze retrouvées, ils s’intéressaient peu à l’agriculture; la plus grande partie de la viande consommée provenait encore de la chasse.

Dès le début de leur installation, l’art du bronze connaît un nouvel essor dans les environs des Monts Métalliques. La presque totalité de leurs instruments, outils, armes et parures sont en effet en bronze. Leurs dépôts creusés dans le sol (Ispánlaka, Felsõújvár, Nagysink, Marosfelfalu, etc.) contiennent d’innombrables haches, faucilles, épées, lances, ceintures, aiguilles et chaudrons.

Incinérant leurs morts et déposant leurs cendres dans des urnes, les hommes de la civilisation de Gáva et les peuplades qui leur sont apparentées repoussent très loin, à la fin du dernier âge du bronze, les limites de leurs territoires. Ils parsemèrent de leurs habitations et cimetières non seulement la Transylvanie, mais aussi le Banat et la région située au-delà de la Tisza, voire la Galicie et la Bessarabie. Certains groupes traversent les steppes boisées et parviennent même jusqu’à la région du Dniepr. Les vestiges de leur civilisation matérielle semblent prouver que le Sud des Carpates, la Valachie et la Bulgarie du Nord étaient elles aussi, à cette époque, des régions habitées de peuples parlant sans doute des langues proches de celle des hommes de Gáva. Ce territoire recoupe plus ou moins la région où devaient s’installer plus tard les Daces, les Gétes et les Mésiens.

Entre la fin de l’âge du bronze et l’apparition de ces peuples signalée par les chroniqueurs de l’Antiquité, la Transylvanie ne connut aucune migration importante susceptible de conduire à un renouvellement massif de la population qui l’habitait. Aussi est-il fort probable que les vestiges de la civilisation de Gáva et des peuples apparentés soit l’héritage des peuples établis dans cette région avant l’arrivée des Daces, des Gétes et des Mésiens. Leur origine est tout à fait claire: il s’agit de la formation, à la fin de l’âge du bronze, d’un {f-22.} peuple parlant une langue commune (ou des langues voisines) et provenant de la fusion lente des communautés issues de la population de l’âge du bronze moyen, installées en Transylvanie avec les hommes de la civilisation des tumulus.

L’âge du fer

La fin de l’âge du bronze met un terme définitif à la vie paisible des mineurs et des marchands. De nouveau, dans la région du Danube et dans le bassin carpatique, des groupes de cavaliers asiatiques apparaissent et bouleversent le mode de vie des paysans des villages. Ces nouveaux venus issus de peuples différents se livrent de sanglants combats entre eux, et contraignent des villages entiers à se déplacer, dévastant et dépeuplant de vastes étendues de terres. L’accalmie qui suit la fin de cette vague de migrations voit l’apparition, le long du cours du Danube, de petites communautés d’ethnies mixtes et provoquent un certain renouvellement de la population sur le territoire des hommes de Gáva et des peuplades qui leur sont apparentées. En effet, par suite de tous ces bouleversements, la grande majorité de la population de l’âge du bronze tardif a quitté la Transylvanie, probablement pour aller s’établir dans des contrées situées au-delà des Carpates. Leurs villages désertés sont occupés par les nouveaux venus, aussi bien que par des peuples du Bas-Danube ainsi que par quelques groupes venus de la Transdanubie du Sud.

Les premières traces des hommes de la civilisation de Basarabi jalonnent le cours moyen du Maros; un peu plus tard, ils s’établissent sur l’ensemble du territoire du plateau transylvain. Leurs habitations en Transylvanie, à l’encontre de celles de Valachie, ont une existence plus longue; elles sont même souvent entourées d’ouvrages de protection. A côté de leurs maisons à clayonnages recouverts de boue, ils érigent également des constructions légères sans aucune fondation. En dehors de l’élevage, la majorité de la population vit du travail des métaux: il est caractéristique que dans les sites de leurs régions frontalières on a trouvé des objets de bronze jamais ou rarement utilisés par les Transylvains eux-mêmes, mais seulement dans les territoires voisins.

Ce peuple fit de remarquables progrès dans le domaine de la métallurgie du fer: outre les armes et les outils, certaines parties du harnais et les accessoires de vêtement sont de plus en plus fréquemment faits en fer. Ils renoncent bientôt à tout emploi du bronze: ainsi remplacent-ils, par exemple, les parties en bronze de la bride par des mors en fer de même forme. Leurs armes – des épées et des acinas (akinakai) – rappellent souvent, par leur aspect à bout de poignée en anneau ouvert, les épées de l’âge du bronze tardif. Ils utilisent également des poignards de lame arquée à tranchant unique et à poignée en T, proches des armes caractéristiques du groupe de Balta Verde, leurs voisins.

Bien que leur industrie de l’or ne nous soit guère connue, il est à présumer que bien des objets en or parvenus dans la région des Carpates sont de leur fabrication, puisque dans l’ancienne couche du site de Mihályfalva on a retrouvé entre autres les pendants du bracelet du site de Dálya et de la perle ailée de Michałkowo. Comme les objets en or datant d’époques ultérieures sont eux aussi assez rares, il est fort probable qu’ils vendaient à l’extérieur la quasi-totalité de leurs produits.

Les rites funéraires sont, à cette époque, uniformes sur l’ensemble du territoire transylvain. Les défunts sont étendus sur le dos, la tête vers l’Est ou l’Ouest. Les morts emportent dans l’au-delà leurs parures, vêtements, armes {f-23.} et instruments, aussi bien que des provisions carnées et des boissons contenues dans des pots déposés dans les sépultures. Un rituel sévère prescrivait probablement que seules trois sortes de pots (urne, tasse ansée et plat à rebord retiré) pouvaient être placés auprès des défunts. Certes, les sites datant de la période qui suivait immédiament l’âge du bronze comprennent aussi des tumulus à squelettes de chevaux, toutefois les pots retrouvés dans ces sépultures portent déjà l’empreinte des coutumes des époques à venir. A l’époque où les pots tournés se répandent dans la région du Bas-Danube et dans la Grande Plaine hongroise, on continue, en Transylvanie, à déposer dans les sépultures des récipients pareils à ceux décrits plus haut.

Ce peuple observant strictement ses rites est sans doute proche parent des Scythes d’Europe orientale. Vers la fin du Ve siècle avant notre ère, Hérodote – qui se fonde entièrement sur les ouvrages de Hécatée de Milet datant de la fin du siècle précédent – écrit que le Maros vient de la région habitée par les Agathyrses pour se jeter dans le Danube (IV, 48). D’autre part, ceux-ci sont les voisins des Neures (IV, 125), qui occupent la région de la rivière Bug, où le Tiras (c’est-à-dire le Dniestr) prend sa source (IV, 17, 51). Or ces données concernent non seulement la Transylvanie, mais l’ensemble de la partie est du bassin carpatique, voire la totalité du territoire de celui-ci.

Lors de la campagne menée en Europe contre les Scythes par le roi de Perse Darios, à la fin du VIe siècle avant notre ère, les Agathyrses attaquent eux aussi les Scythes, peut-être en vertu de leur alliance conclue avec les Perses.

Hérodote (c’est-à-dire Hécatée) dit que les Agathyrses raffinés et parés d’or vivent en communauté des femmes (IV, 104), ce qui signifie ou bien mariage en groupes, ou bien – et c’est le plus probable à notre avis – polyandrie. Toujours est-il que les données fournies par Hécatée ne valent guère pour la période tardive des cimetières transylvains (époque de Csombord); force nous est de conclure qu’elles ne peuvent concerner que des époques antérieures.

Vers 500 avant notre ère, les Agathyrses continuent encore à étendre leurs territoires et envahissent de leurs produits l’Est de la Grande Plaine. Lorsque cette région est occupée par des groupes venus de Valachie et du centre des Balkans, au début du Ve siècle, ils évacuent leurs villages dans la Grande Plaine tout en conservant celles de Transylvanie. Les objets métalliques (miroirs, acinas, fermetures de carquois, etc.) répandus à l’intérieur et à l’extérieur du bassin carpatique révèlent qu’ils continuent à pourvoir la population des régions limitrophes (et parfois aussi de contrées plus éloignées) en produits scythiques très recherchés.

Les Agathyrses finissent cependant par disparaître de l’horizon du monde hellénique. Hérodote signale encore leur roi Spargapéithes, qui aurait vécu vers le milieu du Ve siècle avant notre ère. Le dernier à les mentionner est Aristote, qui, en tant que précepteur d’Alexandre le Grand, les décrit comme un peuple très respectueux de ses lois, les récitant même sous forme de chants (Probl. V 9, 28). Le milieu du IVe siècle les trouve encore en Transylvanie. Ensuite, au témoignage des fouilles archéologiques, les cimetières agathyrses ne reçoivent plus de dépouilles: les habitants de la Transylvanie abandonnent leurs morts et quittent presque tous la région. Cette fuite s’explique par l’arrivée des Celtes. Ceux-ci apparaissent dès la fin du IVe siècle avant notre ère à l’est des Balkans: en 335, ils envoient des messages de paix à la cour d’Alexandre; un peu plus tard, leur offensive est arrêtée par Cassandre, au pied de la chaîne des Balkans.

La Transylvanie désertée accueille pour un temps les Celtes qui cherchent à se fixer définitivement. Les fouilles archéologiques n’attestent les traces de {f-24.} leur établissement qu’à partir du début du IIIe siècle avant notre ère. (Seules quelques sépultures de guerriers ayant parcouru les Balkans nous sont connues des décennies précédentes.) Les premiers vestiges de style celtique – que nous devons considérer comme provenant des Celtes, à l’encontre de la plupart des sites transylvains datant de l’époque de la civilisation de la Tène – apparaissent, de manière caractéristique, aux environs des Monts Métalliques et des rivières Sajó et Szamos. Parmi les habitants de la partie transylvaine de la future Dacie, le seul peuple d’origine celtique que nous connaissions est celui des Cotines-Cotenses (Ptol. III, 8, 3., ILS 8965). Certains groupes de Cotines-Cotenses se sont établis à l’Ouest du Massif du Nord; ils sont mentionnés par Tacite, qui note en particulier que – horribile dictu – ils s’emploient à exploiter des mines de fer (Germ. 43). Ces données nous permettent de voir dans les Cotines de Dacie les descendants des Celtes s’étant établis ici au IIIe siècle avant notre ère. Ceux-ci ont donc constitué une minorité importante – quoique numériquement faible – de la population transylvaine de l’époque celtique.

Cependant les nouveaux immigrés étaient essentiellement des Daces de la Grande Plaine. Les traits antérieurs de leur civilisation matérielle se laissent deviner derrière la «mode» celtique qui envahit tout, avec les produits unicolores de son artisanat, exportés jusque dans les contrées les plus éloignées: grands pots, urnes et bols ansés, de même que de petits couteaux courbés, retrouvés un peu partout. Dans la majorité des cimetières transylvains de l’âge du fer tardif, on trouve des dépouilles appartenant à ce peuple. Les rites funéraires sont aussi variés que ceux de la Grande Plaine: tantôt ils enterrent leurs morts, tantôt ils les incinèrent avant de jeter leurs cendres au fond de la fosse ou de les réunir dans des urnes.

La diffusion générale des pots tournés et les progrès de la métallurgie pourvoient l’artisanat domestique et l’agriculture d’outils et d’instruments. Ceci nous autorise à conclure à la formation d’une couche sociale distincte des artisans qui constituent parfois un groupe ethnique différent – par ex. les Cotines – au sein de la population. Les innombrables armes, harnais et chars de combat d’une part, et l’existence de communautés non armées de l’autre, témoignent de l’assujettissement des «civils» à une caste numériquement importante de guerriers. Cette structure sociale permet la production permanente d’un surplus à écouler, ce qui implique la nécessité d’introduire des valeurs généralisées dans le commerce, relayant bientôt le troc direct tant en Transylvanie que dans les régions limitrophes.

Les pièces de monnaie dites «celtiques orientales» ou «daces» sont des imitations des tétradrachmes de Philippe II et d’Alexandre, si bien qu’on les utilisait d’abord en concurrence avec les pièces authentiques des rois de Macédoine. Or, l’évolution de la frappe des monnaies suit fidèlement l’histoire politique: dès l’apparition de Burebista, on cesse d’imiter les pièces macédoniennes. Les relations entre la Transylvanie et le «monde celtique» étant rompues, à partir de 150 avant notre ère, les monnaies frappées dans les ateliers de Transylvanie ont très rarement cours au-delà des Carpates ou dans la Grande Plaine.