1. Les antécédents


Table des matières

La population

Les débuts de l’âge d’or de la Principauté de Transylvanie se situent autour de 1620. Mais pour en comprendre le fond social, il faut remonter à la dernière grande période de destruction, la guerre de Quinze ans.

Au tournant des XVIe et XVIIe siècles, toute l’Europe était sous le coup de la famine. Des phénomènes météorologiques insolites se produisaient partout, auxquels s’ajoutaient, en certains endroits, comme en Transylvanie, les misères des guerres. Selon le témoignage des contemporains stupéfaits, on aurait connu des cas de cannibalisme. Faute de documentation suffisante, il est assez difficile de faire le bilan du désastre qui, d’ailleurs, n’était certainement pas de la même gravité partout. Témoin: les données des comitats Belsõ-Szolnok et Doboka aux paysages variés. Les moins frappés y étaient les Roumains dont seulement une moitié avait péri, alors que la population hongroise et saxonne vivant sur les plaines avait perdu quatre cinquième de ses effectifs. Même les villes ne pouvaient offrir un abri sûr: la paix ne retrouvait sûr place qu’un quart des bourgeois de Szeben et de Brassó.

Aucune de ces données ne permet de généraliser: dans les relevés faisant état des destructions, on mit sous la rubrique des disparus non seulement les morts, mais aussi ceux qui se réfugiaient dans des contrées à l’écart de la civilisation. En tout cas, sur la foi des documents fiscaux ainsi que d’autres données éparses, il est possible de conclure qu’en Transylvanie, les catastrophes naturelles et les guerres ont fait périr à peu près la moitié de la population à la fin du siècle. Seulement un dixième des biens et de l’équipement des exploitations s’est conservé.

L’évolution qui permettait de sortir de cette terrible désolation peut être examinée de plusieurs points de vue, toutefois, privé de toute donnée statistique directe, on ne saurait avancer des chiffres absolus sur la population. On peut seulement supposer que, dans les années 1650, ce chiffre atteignit à nouveau celui de la fin du XVIe siècle.

Il est possible de conclure au rétablissement ou tout au moins à l’équilibre des rapports démographiques en premier lieu sur la base de certains changements dans les mentalités. C’est à partir des années 1620 que peut être observé un changement du comportement des Ordres vis-à-vis de la fuite des serfs. Auparavant, leur principale exigence à l’égard de la Diète était la reconduction des serfs enfuis. Après 1628, ils en parlent fort rarement. De même, le fait que dans les deux premières décennies du XVIIe siècle, la Diète dispensait souvent {f-294.} les nouveaux colons du paiement des impôts pendant six ans et que, plus tard, l’application de ces dispositions connut une régression, laisse penser que le besoin en main-d’śuvre n’était plus aussi pressant. Il semblerait que, vers les années 1620, les domaines seigneuriaux fonctionnaient convenablement, même si la population n’avait pas encore retrouvé son chiffre d’avant la guerre. La même constatation est valable pour les villes, encore que nous sachions pertinemment que, chez les Saxons, même dans les années 1650, il y avait encore de nombreuses maisons inhabitées. Ils surent cependant redresser leur économie. Ce fut eux qui réussirent, à la fin des années 1620, au moment de la plus grande dévaluation de la monnaie transylvaine, à convertir en or l’impôt perçu en une monnaie caduque.

Dans le même temps, la catastrophe fit surgir une réaction qui n’a rien de particulier en pareille situation: le nombre des naissances a soudain augmenté. C’est là une conséquence que mentionnent de nombreux témoignages, même si le phénomène n’apparaît clairement que dans les familles nobles – à en croire les descriptions généalogiques. A l’intérieur de la génération née à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècle, on comptait un grand nombre de descendants. Lázár Apor, qui vécut dans la première moitié du XVIIe siècle, avait 10 enfants, mais seulement 2 petits-enfants et 5 arrière-petits-enfants; les Apor du XVIe siècle, eux, avaient seulement 2 à 3 enfants. Sur le tableau généalogique de la famille Haller, on ne trouve généralement pas plus de 3 enfants, mais Pál Haller, né au début du XVIIe siècle, eut 3 épouses et 9 descendants. Chez les Mikó, après plusieurs générations à un ou deux enfants, apparaissent, au XVIIe siècle, des générations à 4 ou 5 descendants. C’est probablement l’exemple des Lázár qui constitue l’unique exception: l’arbre généalogique fait apparaître deux fois 7 enfants au XVIe siècle tandis que, dans les siècles suivants, il n’y en a jamais plus de 5.

Ces données généalogiques n’aident naturellement pas à établir exactement le nombre des naissances d’une famille car il est à supposer que seuls les membres ayant atteint l’âge adulte y figuraient. Nous ne savons par contre pas avec quelle fréquence on y signalait les membres de la famille morts en bas âge. A supposer que ces anomalies étaient rares, cela permet néanmoins d’établir par déduction la taille approximative d’une famille. On peut en conclure, faute de sources meilleures, que la catastrophe fut suivie d’une explosion démographique. Nous ne savons cependant rien des circonstances du phénomène. On ne sait pas, au vu des données de la Transylvanie, si l’âge des mariés avait baissé ou si l’on a affaire à un contrôle des naissances en vue de les augmenter. Il est également possible qu’effrayé par le terrible dépeuplement, on se soit mis à prendre davantage soin des enfants, dès le moment que le prix de la vie avait augmenté.

L’autre facteur qui influença avantageusement la régénération réside dans le fait que l’explosion démographique ne fut pas suivie d’une baisse caractéristique dans le reste de l’Europe de la seconde moitié du XVIIe siècle.

Ce phénomène a pu être examiné à deux endroits: dans le domaine de Gyalu et dans la région de Fogaras.

Dans le domaine de Gyalu, entre 1640 et 1660, le rapport entre le nombre des chefs de famille et des garçons était supérieur à 1. Cela signifie que les familles comptaient vraisemblablement plus de 4 membres. Le nombre des filles ne nous est connu que pour la seule année 1638 et pour quatre communes, dans lesquelles on peut calculer la moyenne de membres des familles, qui est de 3,8, 4,4; 3,7; 4,3

Les données de la région de Fogaras montrent une image encore plus {f-295.} favorable avec, entre 1632 et 1640, une augmentation du nombre des membres de famille. A Fogaras – si on considère uniquement les hommes – la proportion passe de 0,9 à 1,4, à Porumbák de 1,4 à 1,6. Par contre, à Komána, elle baisse de 1,6 à 1,3, ce qui n’empêche pas la moyenne de toute la région de Fogaras d’accuser une augmentation. La moyenne des fils par rapport aux chefs de famille était, en 1632, 1,07 en 1637, 1,3 tandis qu’en 1640, elle s’élevait à 1,4. La dynamique de croissance des familles, tout comme dans le domaine de Gyalu, est impossible à percevoir même s’il apparaît clairement que la situation démographique de la région de Fogaras est encore plus favorable que celle de la région de Gyalu.

L’explosion démographique du début du siècle avec le phénomène de croissance continue, c’est-à-dire l’augmentation démographique progressive ne serait certes pas possible à démontrer dans toutes les régions et pour toutes les classes sociales de Transylvanie. Cependant, parmi les facteurs qui contribuèrent à sortir le pays du désastre, celui-ci s’avérait aussurément le plus important.

Une des conséquences de cette explosion démographique fut notamment que, après 1600, le nombre des Roumains s’accrut considérablement – fait remarqué aussi par les contemporains. Cette croissance était due, il est vrai, surtout aux migrations de diverses sortes, mais les habitudes démographiques des Roumains y contribuèrent également. Leurs migrations consistaient essentiellement en deux procédés: d’une part, des groupes vivant antérieurement comme pâtres dans les montagnes vinrent s’installer dans les villages dévastés par la guerre; d’autre part, des paysans déjà sédentarisés des voïvodats roumains arrivèrent de leur propre initiative. Nous n’avons pas de données sur leur établissement. Quant aux habitudes démographiques, elles avaient une incidence sur l’évolution des proportions ethniques dans la mesure où la croissance était, au début du XVIIe siècle – contrairement à la situation des époques ultérieures –, plus importante chez les Roumains que chez les Hongrois. Témoins en sont les données de Gyalu et de Fogaras citées plus haut, le premier territoire étant hongrois, le second roumain. Il s’en suivit incontestablement un changement de proportions ethniques au profit des Roumains dans la Principauté de Transylvanie.

Les élections libres du Prince et le coup d’Etat de Gábor Báthori

La leçon la plus claire de la longue guerre qui dura quinze ans fut que les deux grandes puissances intéressées dans les affaires de Hongrie ne parvinrent ni l’une ni l’autre à prendre le dessus. Evidence qui, pendant des dizaines d’années, servit de prémisse à toute décision politique en Hongrie. Par contre, une des conséquences directes de cette situation fut que les affaires intérieures étaient désormais gérées pratiquement sans intervention extérieure. Ainsi donc, à part ses énormes pertes tant démographiques qu’économiques, la liberté politique de la Transylvanie n’avait jamais été aussi large.

Après la mort d’Etienne Bocskai commença une lutte acharnée pour le trône de la Principauté. Beaucoup convoitaient le trône, mais deux candidats seulement avaient de réelles chances aux élections. L’un d’eux, Bálint Homonnai Drugeth, avait été désigné par Bocskai lui-même comme son successeur et l’autre était Gábor Báthori, qui appartenait à la famille des princes du même {f-296.} nom. Au départ, ils avaient les mêmes chances, tous deux avaient d’atouts et de points faibles. Tous deux étaient jeunes, nobles, bons soldats, jouissant d’une certaine célébrité parmi leurs contemporains.

Aux yeux des Ordres de Transylvanie, c’était justement ce à quoi ils se référaient qui leur portait préjudice, car ils mettaient ainsi en danger le principe de la libre élection du Prince. Le choix de Bálint Homonnai aurait signifié l’acceptation de la volonté de Bocskai. Tandis qu’avec un nouveau Báthori, c’était le pouvoir dynastique d’une famille qui constituait une menace. De plus, Homonnai recevait l’aide de l’extérieur puisque Constantinople l’avait officiellement accepté en tant qu’héritier de Bocskai. Ce fut justement pour cette dernière raison que la majorité des hommes politiques de Transylvanie s’opposèrent à lui. Après la guerre de Quinze ans, pendant laquelle ils s’étaient, non sans raison, sentis comme les jouets des forces extérieures, ils aspiraient à décider souverainement du sort de la Principauté.

C’est ainsi que Sigismond Rákóczi devint le candidat de la Transylvanie, lui qui, depuis 1605, était gouverneur par la volonté de Bocskai. Les contemporains ne le considéraient pas comme un grand homme d’Etat mais, malgré les apparences, il était doté d’un réel talent. Il faisait partie des rares personnes qui, au tournant des XVIe et XVIIe siècles, profitant au maximum des possibilités qui se présentaient, se hissèrent de la classe des petits nobles jusqu’à l’aristocratie. A l’époque où il était devenu gouverneur de Transylvanie, il vivait à Felsõvadász, dans le Royaume de Hongrie, qu’il quitta avec sa riche épouse et ses deux jeunes fils pour occuper son poste. Tout de suite après son arrivée en Transylvanie, il avait concentré son attention sur les deux voïvodats roumains et sur les domaines du Trésor. Il s’employait à relever le commerce extérieur et à dresser un budget d’Etat quand il apprit la nouvelle de la mort de Bocskai. Automatiquement, il devint un postulant au trône.

Tout compte fait, Rákóczi était désavantagé par rapport à Homonnai et à Báthori, en ce qu’il ne pouvait espérer aucune aide de l’extérieur. Mais, pour les Ordres de la Transylvanie, c’était pour cette raison même qu’il semblait le candidat idéal. Aussi put-il se présenter en tant que candidat des Ordres. Il avait un seul atout réel: il était sur place alors que les autres résidaient hors de la Transylvanie.

Cependant, personne n’avait hâte d’organiser les élections, la Diète avait prévu de le faire après les obsèques de Bocskai. On attendait tranquillement le déroulement normal des événements. Aussi la surprise fut-elle grande quand il arriva une lettre de l’archiduc Mathias. Dans cette lettre, il intima aux Ordres de la Principauté de différer les élections jusqu’à ce que Rodolphe – aux termes de la paix de Vienne – n’ait pris une décision à ce sujet. Cependant, la paix conclue en 1606 ne stipulait aucun droit pour le roi d’intervenir dans l’élection du Prince. Ainsi donc, la lettre de l’archiduc Mathias apportait l’évidence que, avec les accords de 1606, le gouvernement de Rodolphe ne considérait pas l’affaire de l’indépendance de la Transylvanie comme close.

Cette tentative d’intervention provoqua une réaction: le 12 février 1607, la Diète élit comme Prince Sigismond Rákóczi. Cette élection constituait un fait accompli. Il semblait que les accords de 1606 prirent réalité; la Transylvanie, de nouveau indépendante, avait réussi sa première action d’autonomie. Il est vrai que l’accession au trône de Rákóczi devait provoquer, à l’extérieur de la Principauté, une vague de protestations, mais il ne rencontra cependant aucune difficulté sérieuse.

Même Constantinople, qui avait essuyé le plus grand affront, n’avait pas {f-297.} tenté de représailles. En effet, au moment même où Rákóczi était élu Prince de Transylvanie, l’aga Mustapha se trouvait déjà à la frontière pour remettre à Homonnai, de la part du Sultan, l’athnamé et les insignes de Prince. D’après les contemporains, Rákóczi le suborna; de toute façon, craignant les représailles, il proposa au Grand vizir, Mourad pacha, contre la reconnaissance de son titre de prince, les deux châteaux forts de Lippa et de Jenõ qui, au cours de la guerre de Quinze ans, étaient retombés aux mains des Transylvains. Mais la Porte répondit d’une façon étonnante. Mourad refusa d’accepter les châteaux, et la lettre qu’il écrivait à Rákóczi lui laissait, pour l’essentiel, les mains libres à condition de préserver la paix.

Eviter la guerre, c’était en effet l’objectif majeur de la politique du Royaume. Il est vrai que ses hommes politiques ainsi que les conseillers de la Cour avaient, avant l’élection de Rákóczi, d’abord soutenu Homonnai, puis Báthori. Néanmoins, ils ne décidèrent aucune action militaire exprimant leur désapprobation de l’élection de Rákóczi. Ils tentèrent de changer à la situation transylvaine en entamant des négociations en vue d’amener le Prince à renoncer au trône.

Sigismond Rákóczi et les politiciens de Transylvanie refusèrent d’abord toute négociation; puis la volonté de conserver la paix les y contraignit finalement. La raison principale en était l’attitude des haïdouks qui, après la guerre de Quinze ans et la mort de Bocskai, se virent écartés de la scène politique. Leur mécontentement, depuis 1606, accompagnait toujours les événements politiques. Pourtant le pays, qui tremblait à la seule idée d’une guerre, ne prit aucune mesure efficace pour les tranquilliser. Il ne s’agissait pourtant pas de grand-chose: leur exigence essentielle était une solde équivalente à 45 000 florins. Mais, en 1607, il n’y avait pratiquement pas d’argent liquide en Hongrie.

A l’automne de 1607, l’impatience des soldats aboutit à la constitution d’un mouvement sous la conduite d’András Nagy, général des haïdouks. Ses hommes allèrent même trouver Ali, le pacha de Buda. Ils déclarèrent que tant que les clauses de la paix de Vienne ne seraient pas respectées, ils ne déposeraient pas les armes.

En décembre 1607, les haïdouks soulevèrent l’idée de choisir, en la personne de Bálint Homonnai, un roi national. Mais le jeune seigneur était déjà fatigué de tous ses vains efforts pour devenir prince, et il se cachait littéralement afin de ne pas rencontrer les délégués des haïdouks. Cependant, les haïdouks ne s’apaisaient pas. Sans but précis, ils étaient comme un explosif traînant par terre: ils étaient prêts à se mettre au service de quiconque.

Ce fut finalement Gábor Báthori qui prit conscience de cette arme potentielle. De manière machiavélique, il négocia, pendant toute l’année 1607, des mesures à prendre contre les haïdouks puis, en février 1608, il signa un pacte d’alliance avec eux, à la suite de laquelle le général András Nagy et le capitaine János Elek déclarèrent qu’ils attachaient leur sort à celui de Gábor Báthori, qu’ils s’associaient à lui pour le mener jusqu’au trône de Transylvanie. Ils lui demandaient, en contrepartie, de soutenir la religion calviniste et de faire d’András Nagy le second personnage de Transylvanie après lui, tandis que Máté Foktüi, le prédicateur des haïdouks, recevrait des terres et serait nommé parmi les seigneurs du Conseil et enfin que Gábor Báthori établisse les haïdouks sur le territoire entre Várad, Ecsed et Kálló.

Le chemin qui menait de l’accord signé avec les haïdouks jusqu’à l’élection n’était pas long. Ce fut le 5 février 1608 que le traité d’alliance fut signé et, dès le 7 mars, Gabriel (Gábor) Báthori fut le nouveau Prince de Transylvanie. {f-298.} Tout cela sans un seul combat. Báthori s’imposa avec, derrière lui, l’unique force militaire du pays, et les Transylvains, qui redoutaient celle-ci, se rendirent. Sigismond Rákóczi abdiqua.

La Transylvanie maintient la paix

Le renoncement de Sigismond Rákóczi prouva sa grande clairvoyance politique car, face à Báthori, il aurait subi une défaite et la Transylvanie aurait de nouveau souffert, la guerre comme moyen d’accéder au pouvoir étant clairement stipulée dans le contrat signé entre Gabriel Báthori et les haïdouks.

Après le renoncement de Rákóczi, ce furent les politiciens de Transylvanie qui firent le second geste afin de calmer la fougue de Báthori.

Il les avait, en effet, stupéfiés car, à peine mit-il le pied sur le sol de la Transylvanie qu’il commençait des préparatifs de guerre pour aller contre les deux voïvodats roumains. Et ce malgré ses engagements envers les Ordres lors de son élection et la ligne politique héritée de ses prédécesseurs qui avaient suggéré de maintenir de bons rapports avec les voisins. Qui aurait voulu une nouvelle confrontation avec ses voisins après une guerre épuisante? Or, Báthori était Prince depuis à peine un mois lorsqu’il dépêcha un de ses hommes de confiance auprès de Michael Weiss, juge de Brassó, fin connaisseur des affaires des voïvodats, dans le but d’obtenir des informations sur les possibilités qu’il y avait de chasser Radu Şerban, le voïvode de Valachie. Le savant juge l’en dissuada catégoriquement. Il était en quelque sorte le porte-parole des Saxons avertis qui s’enrichissaient grâce aux relations économiques entretenues avec les voïvodats. Il ne réussit cependant pas à convaincre le Prince, qui envoya en secret des ambassadeurs en Moldavie, auprès de la veuve de Ieremia Movilă, mère du voïvode enfant, qui était considérée comme une politicienne avertie, avec le dessein d’obtenir son alliance contre le voïvode de Valachie.

Mais le Conseil princier de Transylvanie se prononça contre ces plans insensés. Au cours d’une réunion, en mai 1608, ils votèrent ouvertement contre le Prince. Ils étaient d’accord sur la seule signature d’une nouvelle alliance avec les voïvodats. C’est ainsi que le voïvode Constantin de Moldavie, âgé de 13 ans, devint vassal et versa, sur la base du contrat signé le 18 juillet 1608, un tribut annuel de 8 000 florins tandis que le voïvode de Valachie, Radu Şerban, avait prêté serment de fidélité encore avant lui, le 31 mai, devant les ambassadeurs de Transylvanie lui envoyés par Báthori.

Les accords de 1608 avec les Roumains avaient préservé la paix sur les frontières, mais la question des haïdouks restait non réglée. Il aurait été bien plus simple de les occuper dans une guerre contre les voïvodats que de leur assurer, au prix de grands efforts, un établissement définitif. Ainsi donc, Báthori n’avait pas respecté les termes du contrat qu’il avait conclu avec eux, raison pour laquelle c’était lui, maintenant, qui pouvait se sentir menacé par les haïdouks. Ce fut à ce moment précis qu’il reçut une aide inattendue de l’archiduc Mathias qui entendait utiliser les haïdouks contre son frère, l’Empereur Rodolphe. Il changea donc sa ligne politique envers les Hongrois: il s’érigea en défenseur de la paix de Vienne. Tout d’abord, il confirma, le 27 mars 1608, les haïdouks dans leurs privilèges accordés par Etienne Bocskai puis, trois semaines plus tard, il prit à sa solde 6 000 haïdouks. Il ne restait plus que 3 000 haïdouks auprès de Báthori.

Le règlement de la situation des haïdouks devint l’affaire commune de Mathias et de Gabriel Báthori. Puis, quand l’archiduc, avec l’aide des haïdouks, {f-299.} fit renoncer Rodolphe à la couronne de Hongrie et à la souveraineté des pays héréditaires d’Autriche, il se mit effectivement à régler la question des haïdouks. Les délégués des deux parties entamèrent alors leurs négociations à la fois sur les haïdouks et sur la question du rapport entre la Transylvanie et la Couronne hongroise. Car, avec le renoncement de Rodolphe, l’accès au trône de Hongrie devint libre à Mathias mais, avant de l’occuper, il devait donner une solution à ces deux questions.

Le 20 août 1608, deux accords furent signés. Selon le premier, les haïdouks allaient servir la Hongrie et la Transylvanie en tant qu’hommes libres, tout comme les Sicules. Le second stipulait que Gabriel Báthori ne séparerait pas la Transylvanie de la Couronne. Le contrat lui reconnaissait la dignité de Prince.

Ainsi donc, au début de l’automne 1608, quelques mois après l’élection de Gabriel Báthori, la paix régnait en Transylvanie. Peu de temps après, parvint de la Porte la reconnaissance de la qualité de prince de Báthori. C’était un des chefs du parti turc, Gabriel Bethlen, qui était allé le chercher, à Constantinople. Dès la mi-août, on apprit la nouvelle de son ambassade réussie. Mais il n’arriva que vers la fin de novembre, accompagné d’une délégation de la Porte. Ils amenèrent les attributs traditionnels de l’investiture: le drapeau, l’épée et le diplôme richement décoré, selon lequel le Sultan exemptait pour trois ans la Transylvanie du paiement de son tribut et confirmait le titre de prince de Gabriel Báthori.

Les Ordres de Transylvanie avaient tout lieu d’être satisfaits. Il est vrai que le jeune Báthori s’était imposé en faisant pression par la menace des haïdouks, mais comme il avait commencé son règne en obéissant à la volonté des Ordres, on pouvait espérer lui faire respecter les intérêts traditionnels de la Transylvanie.

Prince non appuyé par ses sujets

Gabriel Báthori ne supporta pas longtemps cet immobilisme imposé. Il n’était pas monté sur le trône pour obéir mais, au contraire, poussé par le désir ardent de régner. Il y parvint en fait d’une manière si fougueuse que cela ne pouvait que déstabiliser son pouvoir.

Il s’entoura de conseillers de toutes sortes. Certains étaient les membres de familles anciennes sur l’avant-scène de la Transylvanie dès le temps des Szapolyai, un autre groupe provenait des familles devenues importantes grâce à l’accès au pouvoir des Báthori. Il y en avait encore d’autres qui s’étaient seulement établis en Transylvanie à l’époque de la guerre d’indépendance de Bocskai. Entre les nouveaux et les anciens, il existait une tension sociale renforcée par les événements d’un passé tout récent. Nombreux étaient les descendants ou proches de l’opposition pro-turque exterminée en 1594. D’autres avaient pris les armes, au cours de la guerre de Quinze ans, pour soutenir les Habsbourg. Certains étaient considérés comme partisans du voïvode Michel. Les quelques années écoulées depuis le début du siècle ne pouvaient faire oublier leur situation d’opposants politiques. En outre, l’entourage de Báthori était aussi divisé par les différences confessionnelles. Il est vrai qu’autour du Prince de religion réformée, gravitaient essentiellement des réformés, mais il y avait également quelques grands seigneurs catholiques. Pendant les périodes calmes, ces différences n’étaient d’aucune gêne, mais dans une situation tendue, c’était la méfiance qui s’installait.

{f-300.} Le Prince, au lieu de calmer les sentiments, les excitait plutôt par ses actes de donation capricieux, où il n’y avait aucun rapport entre mérite et récompense. Ainsi, au lieu de gagner de nouveaux fidèles avec ses largesses, il augmentait l’animosité à son égard, sans parler de la jalousie provoquée par ses liaisons amoilreuses avec les dames de sa cour.

Il n’était pas plus réfléchi avec les bourgeois; pendant qu’il tint sa cour dans tous les palais des seigneurs, il s’amusa aussi dans les villes. Le jeune Prince, qui n’avait aucune expérience politique, au lieu de taxer les riches de la bourgeoisie des villes, les utilisa pour financer ses fêtes. En fait, au lieu d’appuyer les activités industrielles et commerciales de la bourgeoisie citadine et d’en tirer un bénéfice légal, Báthori se contentait de dépouiller les villes avec la simplicité d’un potentat du Moyen Age.

En raison de son incompétence dans la conduite des affaires, un an après son élection, il était déjà entouré d’une ambiance hostile, quand, éludant les protestations de la Diète, il commença les préparatifs de la campagne militaire contre la Valachie.

Il n’y eut cependant pas encore de guerre puisque Gabriel Báthori en fut empêché par le complot de son entourage politique le plus influent. On ne sait pas depuis combien de temps ils préparaient leur coup contre le Prince. Au printemps de 1610, ils décidèrent de le faire assassiner. Un voyage prévu pour mars semblait être le moment propice. Cependant le meurtrier prit peur à la dernière minute et, quoiqu’il fût entré dans la chambre du Prince, il ne poignarda pas Báthori. Il lui avoua tout. L’hôte de la maison, le chancelier István Kendi, s’enfuit immédiatement, tandis que Boldizsár Korniss, le capitaine suprème des Sicules, qui avait dirigé toute l’action, fut arrêté. On apprit rapidement que les comploteurs n’étaient qu’en fort petit nombre: seuls quelques seigneurs et la maisonnée de Kendi avaient connaissance du complot.

Les contemporains adoptèrent rapidement la version qui donnait, comme justification au complot, la jalousie de mari de Boldizsár Korniss. En réalité, il s’agissait d’une crise interne du pouvoir, mais Báthori ne s’en préoccupa pas. Il se contenta d’organiser une grande mise en scène destinée à faire peur aux mécontents: il fit exécuter publiquement Boldizsár Korniss. Les fidèles, eux, montèrent en grade: le préféré de Báthori, János Imrefi, devint, en remplacement de Kendi, chancelier et Gábor Bethlen fut nommé capitaine suprême des Sicules.

La stupeur causée par le complot manqué ne fut pas de longue durée. Báthori continua, dès décembre, ses préparatifs de guerre. Il occupa Szeben par la ruse, alors qu’il n’avait pas le droit, conformément au privilège des Saxons, d’y rester contre leur volonté. Cette action révolta non seulement les Saxons, mais l’ensemble de l’opinion publique. Même si Báthori avait raison en affirmant que la ville en ruines de Gyulafehérvár n’était pas propre à être le centre de la Principauté, en occupant la plus riche ville saxonne, il lui a fait un tort impardonnable. Puis – malgré l’opposition d’une partie de son entourage –, il entreprit quand même la campagne contre la Valachie. Il partit le lendemain de Noël 1610 et il comptait remporter une victoire éclatante. Mais le voïvode Radu Şerban avait eu vent de son approche et il eut le temps de prendre la fuite. Les troupes transylvaines arrivèrent sans combattre, jusqu’à Tîrgovişte où Gabriel Báthori se fit proclamer prince de Valachie. Ce fut seulement à ce moment-là qu’il commença à négocier l’accord de la Porte.

Il envoya à Constantinople une pompeuse délégation qui devait présenter {f-301.} de grandioses projets. En chassant Radu, Báthori prétendait préserver la Valachie pour la Porte. Le stade suivant serait la prise du pouvoir en Pologne. Si la Porte donnait son accord, elle ferait monter sur le trône de Pologne un roi fidèle à l’Empire ottoman. Il est à supposer que Báthori rêvait véritablement de la couronne de Pologne, étant donné que, depuis le règne du roi Etienne, dont il était un parent, tous les princes de Transylvanie étaient attirés par son exemple. Il avait également tenu compte des rapports de force, car Constantinople était justement revenue sur sa politique consistant à maintenir la paix à tout prix.

Ses appréciations comportaient cependant une erreur: certes, la Porte avait repris ses forces, mais elle n’opta pas pour Báthori. Elle lui envoya l’ordre de retourner chez lui et nomma Radu Mihnea nouveau voïvode de Valachie. Il ne resta au Prince qu’à rentrer, après deux mois d’absence, en Transylvanie. II maintint cependant les apparences en laissant à Tîrgovişte Gábor Bethlen avec une petite troupe. C’était à lui de recevoir le nouveau voïvode et de signer un traité avec lui. Après l’investiture de celui-ci, au mois d’avril, Bethlen lui-même retourna au pays.